L'Algérie de plus près

Le Pr Sebaïhia et son équipe à l’avant-garde

A l’abri des regards, le Pr Mohamed Sebaihia mène un dur combat pour la science depuis qu’il a décidé de s’installer définitivement au pays. Fort d’une expérience cumulée pendant plusieurs années passées dans une prestigieuse université européenne, ce spécialiste en microbiologie a osé le pari risqué de s’installer dans son pays, plus précisément à l’université de Chlef, ville d’où il est originaire.

«Malgré les embûches de tout genre et le manque criard de moyens mis à la disposition des chercheurs, le Pr Sebaïhia n’a pas fait marche arrière sachant que, de toute évidence, il rencontrerait les mêmes difficultés dans les autres universités du pays», nous dit de lui un de ses nombreux amis..

Dans son laboratoire situé dans l’enceinte de l’université de Bocca Sahnoun, à Chlef, le chercheur Sebaïhia conduit des études très pointues en biologie moléculaire. En ces temps de pandémie due à la propagation fulgurante du Covid-19, il ne s’est pas empêché de proposer les compétences de son équipe aux services départementaux de la santé pour aider au dépistage de ce virus ravageur. De fait, il lui est apparu évident, après la multiplication des cas d’infection, de s’impliquer dans la bataille pour atténuer l’énorme pression qui s’exerce à ce jour sur l’Institut Pasteur d’Alger, l’unique laboratoire du pays pouvant pratiquer les tests de PCR, de l’anglais «Polymerase Chain Reaction». La PCR, nous explique-t-on, est une méthode de détection directe du génome des agents infectieux ou parasitaires. C’est un outil de biologie moléculaire qui permet de détecter les agents pathogènes dans des prélèvements de nature variée.

En somme, c’est le cœur du métier du Pr Sebaïhia et de son équipe qui sont tous versés dans la recherche en biologie moléculaire et génomique. Mais comment faire quand on ne dispose pas des équipements nécessaires ? Le Pr Sebaïhia nous répond : «Nous connaissons la technique, nous savons quels types d’appareillages il faut, nous en avons quelques-uns et nous savons où se trouvent les autres. Ce n’est pas sorcier, il faut simplement se doter d’un ensemble d’équipements et de réactifs qui existent sur le marché pour que le centre de dépistage soit opérationnel».

De généreux donateurs

Et c’est ce qui fut fait en l’espace de moins d’un mois. Une période durant laquelle le chercheur et son ami le Dr Ismaïl Cherbal, médecin biologiste-clinique à l’hôpital de Chorfa, vont se démener comme des diables pour monter l’unité de dépistage. Le 15 avril dernier, le jour où nous leur avons rendu visite, ils devaient commencer l’analyse de quelque 90 échantillons de sang prélevés sur des citoyens présentant quelques symptômes typiques du Covid-19. Mais c’était compter sans l’arrivée –miraculeuse d’ailleurs- d’une équipe d’ouvriers qui se sont proposés d’installer un système complet de climatisation. Un généreux donateur a payé ledit système et a refusé de révéler son identité.

«Nous aurions aimé commencer le boulot aujourd’hui, mais la climatisation est importante dans une unité totalement confinée». Nous convenons en effet, qu’avec les températures excessives que connait la région, il est humainement impossible de rester plus d’une heure dans ce peut devenir une véritable étuve. Il faut savoir que le bâtiment où est installé le laboratoire est en préfabriqué, comme d’ailleurs la majorité des vieilles structures de l’université de Bocca Sahnoun. Et quand on doit laboratoire, n’imaginez pas que vous allez pénétrer dans ces bâtiments high-tech qu’on nous montre dans les séries télévisées. C’est tout juste un modeste espace sommairement équipé dans lequel évolue l’équipe de chercheurs.   

Cela n’a pas eu d’effet démobilisateur sur les chercheurs, bien au contraire. «Lorsque la situation a commencé à devenir sérieuse, j’ai joint mon ami le Dr Cherbal par téléphone pour lui demander ce qu’il y avait lieu de faire et s’il nous est possible de monter rapidement une unité de dépistage du moment que les tâches qu’elle sous-entend relèvent de nos compétences. Nous avons convenu le même jour de nous voir dans son bureau où nous avons rédigé une lettre à M. le wali de Chlef à qui nous avons demandé de l’aide pour pouvoir ouvrir cette unité. D’autres médecins se sont joints à nous pour signer la lettre. J’ai aussi pris contact avec la direction de la recherche scientifique au niveau du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dont dépend mon laboratoire qui a adhéré à notre idée. Cela s’est fait au moment où l’Institut Pasteur s’était dit favorable à ce que d’autres laboratoires effectuent les analyses de RT-PCR. L’institut a même diffusé la liste des équipements et matériels dont doit se doter tout laboratoire intéressé par la réalisation des tests Covid-19. La direction générale de la recherche scientifique a répondu favorablement à ma requête en me demandant d’indiquer la liste d’équipements qu’il me fallait pour démarrer l’activité.  D’autres équipements se trouvent dans les hôpitaux de la ville. Ainsi, nous avons pu mettre au point la plateforme qui est devant vous. Bien sûr, il y a des gens à Chlef qui nous ont aidés. Parmi eux, le Dr Chemami, ophtalmologiste à Chlef, qui a financé l’achat de plusieurs équipements et les travaux d’aménagement».

Quid des kits de dépistage ?

Par deux fois, des équipes relevant de l’Institut Pasteur sont venues vérifier la conformité des équipements et sont reparties satisfaites. Aujourd’hui, le laboratoire est agréé et est fin prêt pour l’analyse des prélèvements.  

Il reste toutefois quelques problèmes en suspens, qui nécessitent d’être résolus dans l’urgence. D’où l’appel insistant de l’équipe à l’implication des autorités locales, notamment la wilaya et la direction de la Santé et de la Population. Le Pr Sebaïhia a été on ne peut plus clair sur certaines questions : «Je le dis franchement : nous avons besoin aujourd’hui de financements, un laboratoire d’analyse du type que nous possédons coûte cher ; les consommables doivent être disponibles et l’entretien des équipements doit se faire régulièrement». Et, plus que tout, il veut que le laboratoire soit approvisionné de manière régulière en produits et réactifs de diagnostic, dont les fameux kits de dépistage. Le laboratoire a reçu une seule boîte, de quoi réaliser 96 tests. «Et après ?», s’interroge M. Sebaïhia, qui souhaite un quota plus conséquent.

Le Dr Cherbal explique pourquoi : «Avant, on envoyait les prélèvements à l’institut Pasteur d’Alger et on attendait au moins 5 jours pour avoir les résultats à partir desquels nous prenons une décision, soit hospitaliser le patient, soit le libérer. Lorsque l’annexe d’Oran a été mise sur pied, les résultats revenaient au bout de trois jours. Ici, nous pouvons les avoirs au bout de deux heures. Le gain de temps est énorme». Raison qui plaide pour la dotation rapide du laboratoire en kits. D’autant que les équipements installés permettent d’analyser 100 échantillons à la fois toutes les 4 heures. En 8h, on peut donc tester à l’aise 200 patients par jour. Ce qui est énorme pour une ville où le nombre de cas avérés de Covid-19 n’a pas encore dépassé la cinquantaine.

De quoi motiver tous les membres d’une équipe entièrement versée dans ses recherches. Et il ne fait nul doute qu’avec cette initiative des plus louables, le laboratoire de biologie moléculaire génomique et bioinformatique de Chlef en sortira grandi. Tout comme les autres laboratoires universitaires qui  se sont engagés dans la bataille anti-Covid-19 dès l’apparition des premiers cas en Algérie.

Le Chélif

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