Café, journaux, emplettes et séries télévisées
«J’apprends avec stupeur que les journaux ne sont pas distribués depuis un bon bout de temps à Ouled- Mohamed. Avoir une tasse de café n’est pas aussi simple, on fait la commande, on paye et on s’éloigne du magasin pour ne pas éveiller les soupçons. Quelques instants plus tard, on vous livre la marchandise en exigeant de votre part beaucoup de discrétion. On dirait un toxicomane en train de prendre sa dose de cannabis»
On le regardait de loin alors qu’il sévissait en Chine avant de rejoindre l’Italie entrainant avec lui son lot de morts et de deuil. Nous pensions naïvement que ça n’arrivait qu’aux autres. Nous étions loin de nous douter que le coronavirus se propage à une vitesse foudroyante dans toutes les parties de l’univers. Aucun pays n’est épargné. Il a fait irruption en Algérie pour semer le trouble et l’inquiétude de tout un peuple. Cette pandémie a complètement transformé nos habitudes. Nos vies ont été totalement bouleversées par la crise du coronavirus. On ne parle ni de football ni de Saïd Bouteflika ou d’Ali Haddad. On a complètement oublié le champ de boules et les interminables et joyeuses parties de rami ou de belote. Cette épidémie est devenue le thème principal qui alimente toutes nos discussions. Hormis quelques administrations ou entreprises, tous les espaces publics sont interdits à la population. Les cafés et espaces publics pouvant engendrer des regroupements ont été fermés par les autorités locales. Suivant scrupuleusement les recommandations des professionnels de la santé, je passe la majorité de mon temps à la maison. Rester cloîtré à la maison durant des journées entières n’est pas une mince affaire mais c’est le seul moyen de prévention. Evidemment, en ce qui me concerne, le confinement ne constitue nullement le fait de se cloîtrer toute la journée à la maison. Je sors de temps en temps effectuer quelques achats, prendre un café, acheter un journal (quand j’arrive à le trouver). Les journées de confinement se suivent et se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Chaque matin, j’effectue quelques achats chez les magasins de mon quartier avant de rejoindre la boulangerie pour prendre mon pain. Juste après, je prends la direction d’une boutique pour prendre un café. C’est tout un rituel. On dirait un dealer qui écoule du cannabis à des toxicomanes. On entre dans le magasin, on fait la commande et on paye. Le commerçant nous demande à chaque fois de nous éloigner des lieux. Quelques instants plus tard, il nous apporte le précieux café en nous demandant de le dissimuler. Après le café, c’est au tour du journal et je viens de découvrir avec stupeur que les journaux ne sont pas disponibles à Ouled Mohamed bien que le gain soit de 5 dinars part unité. Il faut descendre à Hay Zeboudj ou en ville pour se procurer un quotidien ou un hebdomadaire. Souvent, c’est mon frère Habib qui vient me libérer de la grisaille et la monotonie de mon quartier. Cette virée constitue une évasion. Accompagnée de quelques amis nous allons respirer l’air pur de Medjadja et admirer la nature loin de la ville avant de revenir à Oum-Drou effectuer quelques achats dans le marché de ce charmant village. C’est également dans cette bourgade que nous achetons des journaux bien que la distribution soit irrégulière.
Comptabilité macabre
A mon retour à la maison, j’évite de regarder les informations car les journaux télévisés sont devenus de plus en plus agressifs. Les images sont violentes. Toutes les chaines d’information se démènent pour annoncer de funestes nouvelles qui viennent de tous les pays du monde. C’est une suite de comptabilités macabres qui commencent sérieusement à faire mal. J’éprouve beaucoup de plaisir à regarder les jeux télévisés (Slam ; des chiffres et des lettres, questions pour un champion) ou les séries policières durant la nuit. Ces jeux présentés par de bons animateurs occupent une grande place dans la journée d’une personne qui passe la majeure partie de la journée chez lui. L’après-midi, des camionnettes transportant des fruits et légumes parcourent les rues et ruelles de la cité pour écouler leurs marchandises à bon prix. Le soir, je quitte la maison, histoire de me dégourdir les jambes pendant quelques minutes. Le confinement m’a aussi appris à connaitre davantage quelques personnes qui habitent dans le même quartier que moi depuis une trentaine d’années. Quand je déambule à Ouled Mohamed, je ne rencontre que des retraités parce qu’ils sont les seuls qui ne descendent pas en ville. Quelques-uns apportent des chaises, d’autres des briques ou des cartons pour se regrouper près d’un magasin ou à côté de la mosquée. Ils discutent rarement. Ils se regardent sans se parler. On dirait qu’ils attendent la fin du jeûne un jour de Ramadhan. De temps en temps, une voiture de police sillonne les principales artères du site. A l’aide d’un mégaphone, un policier demande aux gens de ne pas se regrouper. Quelquefois, les agents de police descendent de leur voiture pour disperser les groupes. Le confinement partiel s’est élargi à plusieurs wilayas et les citoyens sont obligés de respecter le couvre-feu entré en vigueur. Il dure de 19 heures à 7 heures du matin. A partir de 18 heures, les rues commencent à se vider et les habitants pressent le pas pour rejoindre leur domicile. De loin, on entend le policier qui, à l’aide de son mégaphone, demande, encore une fois aux citoyens de rentrer chez eux tout en insistant sur la gravité de la situation. Le soleil commence à se coucher. Je rentre chez moi et j’allume la télévision pour voir d’anciens matchs du Réal Madrid diffusés sur la chaine de la télévision du club de la capitale espagnol.
Ali Dahoumane