L'Algérie de plus près

De l’Etat gérant à l’Etat garant

Par Mohammed Koulal*

Nous n’avons point d’Etat. Nous avons des administrations. Ce que nous appelons raison d’Etat n’est autre que la raison des bureaux. On nous dit qu’elle est auguste. En fait, elle permet à l’administration de cacher ses fautes et de les aggraver.

Pour traiter le thème relatif à l’administration considérée comme la rotule de tout système, je n’ai pas trouvé mieux que l’analyse faite par Vincent Wright, historien, politologue, philosophe et administrativiste que Guy Braibant a évoqué lors d’une conférence.

Par rapport aux diverses recherches relatives à l’amélioration de l’administration, nous demeurons en fait sans administration. En effet, des chercheurs luttent pour l’amélioration de l’administration, son mode d’organisation et de fonctionnement. Il ne s’agit pas d’élaborer un modèle unique d’administration publique valable pour tous les pays, nonobstant l’existence des tendances à l’uniformisation des administrations publiques qui a échoué du fait de la diversité des évolutions historiques, des traditions nationales, des niveaux de développement économique, social, culturel.

Des pays ayant accédé à leur indépendance et auxquels on a essayé d’appliquer des modèles prétendus universels -le mimétisme administratif- ont subi des ravages coûteux (et à ce jour). La responsabilité en est partagée entre ceux qui accordaient leurs aides et ceux qui étaient censés en être les bénéficiaires. De ce fait, ce qui est bon pour les grandes puissances n’est pas forcement bon pour les autres pays et qu’une transposition mécanique d’institutions étrangères peut donner de mauvais résultats. Malgré cette diversité, on constate chez les pays développés un rapprochement dû aux progrès techniques afin de faciliter les échanges tout en induisant des méthodes identiques. Ce concept est méconnu dans les pays où la bureaucratie est installée, provoquant une lenteur dans le processus économique lato sensu et un frein à toute innovation.

Depuis «le siècle des lumières», on réclame en Europe des principes permanents et des valeurs évolutives pour une finalité de l’intérêt général, le respect du droit, le principe de la responsabilité, l’exigence de l’efficacité et enfin la charte des droits de l’homme, et cela dans le seul souci «d’un droit à une bonne administration». Mais la question demeure toujours entre partisans de «moins d’Etat» et ceux «de plus d’Etat». Il est conclu par les penseurs de l’administration (administrativistes) que ce débat demeure un faux problème. En effet,  les fonctions de l’Etat ont atteint une sorte d’équilibre quelle que soit l’idéologie dominante. Aucun ne pense à une société fondée sur le «tout Etat», ni à une autre dépourvue d’administration. Aucune puissance ou pays émergents ne souhaitent que les administrations gèrent directement des activités de production ou de service, l’Etat gérant est synonyme de bureaucratie et de lenteur, il serait donc urgent de passer de ce type d’Etat à celui d’Etat garant. Cela veut dire que l’Etat n’est pas le mieux placé pour fabriquer des produits et les vendre mais son rôle relève de la protection des citoyens et des biens particulièrement en période de menace interne ou externe.

L’intérêt général au dessus de tout

Il n’en demeure pas moins que le premier concept de l’administration est la notion de «l’intérêt général» ou «intérêt public» qui est à la fois la justification et la limite, la notion «de respect du droit» s’y ajoute dans les temps modernes. L’Etat ou les administrations publiques qui détiennent la force publique sont chargés de faire respecter la loi et de la respecter eux-mêmes. Mais peut-on imaginer que l’Etat respecte la loi que lui-même a créée ? La soumission de l’Etat  et de ses agents aux règles de loi et au contrôle des tribunaux a été qualifiée de miracle. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’Etat de droit, c’est-à-dire un Etat qui respecte lui-même le droit lequel est spécial : le droit administratif appliqué par les juridictions administratives. Ce droit et ces juridictions tiennent compte des finalités d’intérêt général et des exigences qui en résultent en ce qui concerne le statut des fonctionnaires. Les administrations sont responsables des dommages qu’elles causent par leurs actions ou inactions, les fonctionnaires sont responsables de leurs fautes ; les uns et les autres doivent rendre compte de leurs actes et leurs gestions au pouvoir politique et à l’opinion publique. Mais nous constatons que notre société a subi un endoctrinement dans le sens de prévaloir que «le roi ne peut mal faire» et que le roi ne peut répondre que pour dire «tel est notre bon plaisir».

Le rôle de l’administration publique c’est la recherche de l’efficacité : fournir aux citoyens le maximum de satisfactions avec le minimum de coût ; et non une administration de routine, de gaspillage, de lenteur synonymes de bureaucratie. Cette dernière devenue comme justificatif à tout acte administratif a mis «à genoux» les plus fervents des investisseurs, des chercheurs, en un mot des compétences victimes de la bureaucratie.

Platon considérait le fait de gérer la vie publique des citoyens relève de l’art en ce sens que l’honnêteté et la compétence chez le fonctionnaire doivent être permanentes. Sans cela, la corruption administrative demeurera l’un des maux les plus graves de notre société ; elle trouve sa source dans les entreprises privées et elle est encore plus grave quand elle infecte le secteur public qui ne doit être animé que par le seul intérêt général. C’est pourquoi l’honnêteté doit être une vertu qu’on doit exiger à tout fonctionnaire.

Primauté du droit

En aucun cas, l’administration ne doit se substituer au pouvoir politique pour définir les orientations de la société, elle est subordonnée aux instances politiques qui procèdent à l’élection. Elle doit contribuer au maintien des valeurs et au respect des règles mais elle n’est pas chargée de les définir.  Ainsi, sa neutralité et son impartialité doivent être transparentes vis-à-vis de l’opinion publique et agir dans le sens de l’intérêt public. C’est cet intérêt public qui a «enfanté» la puissance publique nantie à l’administration. A ce niveau apparaît le concept de la décentralisation où le pouvoir lègue certaines décisions à caractère urgent à l’administration locale considérée comme plus près des citoyens lesquels sont représentés par des élus. Les citoyens ne peuvent plus supporter les affres de l’inégalité particulièrement en matière d’infrastructure : route, école, centre de santé etc., les besoins urgents dont le pouvoir a réservé des budgets propres à la région pour y remédier aux lacunes qui en découlent. Subventionner une équipe de football au détriment d’un axe routier dont l’entretien aura des résultats socio-économiques positifs, relève purement et simplement de la démagogie pour ne pas dire «la poudre aux yeux». Il est impératif de prévoir une administration «participative» allant dans le sens de la démocratie où le citoyen aura le droit de proposer, d’exiger, de contrôler et d’assister à toute adjudication quel que soit le projet dans l’intérêt de la société. Et ce n’est que de cette manière que la confiance entre administration et citoyen sera établie. La participation des citoyens et l’intervention de la société civile doivent se combiner avec la professionnalisation des fonctionnaires, elles ne doivent pas entraîner une baisse de la qualité de l’administration ou un ralentissement de ses procédures, ni faire de celle-ci un champ de conflits  entre des intérêts particuliers, ni substituer des rapports de force aux rapports de droit ; la primauté de l’intérêt général doit garder toute son importance dans la définition des finalités et dans le mode de gestion des administrations publiques.

Le bien-être des citoyens doit être la première mission de tout responsable surtout celle de l’administration locale qui doit s’ériger en bastion des aspirations des communautés, pour être la sentinelle des rêves des citoyens. Les villes doivent être inclusives, résilientes et durables. Les responsables locaux sont responsables, par leur engagement vis-à-vis  des services publics de travailler pour le bien-être des citoyens. Tel est le rôle de l’administration : réaliser le maximum avec un coût minimum dans le but de rendre le citoyen heureux car comme l’écrit l’écrivain russe Tolstoï : «toutes les familles heureuses se ressemblent mais les familles malheureuses sont malheureuses à leur manière».

M. K.

*Avocat à la Cour de Relizane, agréé près la Cour Suprême et le Conseil d’Etat

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