Par Jacqueline Brenot
«En 2017, l’écrivain sud-africain Deon Meyer, dans son roman «L’Année du lion», avait anticipé une catastrophe planétaire, en mettant en scène deux survivants, père et fils, du «viruscorona» qui venait de décimer 95% de la population mondiale.
Si un écrivain était en mesure, voici trois ans, de «faire valider scientifiquement que le coronavirus était bien l’agent pathogène le plus dangereux pour la race humaine» pour rédiger son ouvrage, comment les gestionnaires de ce monde n’aient-ils pas pu anticiper la situation?»
Faut-il rappeler les chiffres terrifiants qui se succèdent à longueur de journée sur les chaines d’infos ? Nous sommes, tels des naufragés sur le radeau de la Méduse aux amarres rompus, en attente de solutions et de fraternité mondiale pour endiguer et vaincre les effets dévastateurs du Covid-19.
185 pays sont à présent touchés. Le cap des 100 000 décès est dépassé dans le monde et le nombre de contaminés frôle les 1,8 millions. Même la Chine qui pensait avoir vaincu l’épidémie et «déconfinait» progressivement sa population, tout en laissant ses frontières fermées, pour éviter «une seconde vague», enregistre 97 cas nouveaux, importés de l’étranger. Ailleurs, les indicateurs de victimes du virus continuent de grimper. Pour l’essentiel des derniers bilans, les Etats-Unis sont les plus touchés, notamment la communauté afro-américaine, avec des résultats foudroyants de 430 000 cas, de 20 608 morts et 50 6000 malades, et la volonté du Chef de l’Etat de faire redémarrer l’économie le 1er mai. L’Iran, très touché par l’épidémie et isolé diplomatiquement, tente de rallier la communauté internationale et demande une aide au FMI. En Europe, l’Espagne compte 161 000 malades et 16 300 morts, mais observe une lente régression de l’épidémie. On compte 881 décès supplémentaires au Royaume-Uni, mais l’état de santé du Premier ministre, Boris Johnson, du pays s’améliore. L’Italie s’approche des 20.000 morts, mais affiche avec 431 morts en 24h, le chiffre le plus faible de ces dernières semaines. En France, avec 14 393 morts et «un très haut plateau» de la phase ascendante, l’heure n’est pas encore au «déconfinement», mais plutôt au respect strict des mesures. Les frontières de l’Union européenne et de l’espace Schengen sont fermées pour freiner la circulation du virus.
Le jeudi 9 avril dernier, afin d’endiguer la crise économique et apporter un encadrement temporaire de mesures d’aides, dont des subventions et allègements fiscaux, le Parlement européen, par le biais des 27 ministres des Finances de la Zone Euro, a pris un accord financier. La décision d’un fonds d’aide d’urgence de 500 milliards d’euros, dont 100 milliards pour aider les Etats à financer le chômage partiel. Ces chiffres interpellent après les crises sociales enregistrées en 2019. Et pour les pays qui ne peuvent adopter de plan économique d’urgence pour endiguer les impacts de cette crise, les experts parlent de «hara-kiri économique». La crise brutale du coronavirus fait exploser le déficit et l’endettement. Chaque jour supplémentaire de confinement coûte très cher aux populations et les dettes des pays concernés s’accroissent. D’après les spécialistes, ce sont toutes les mesures prises actuellement par les Gouvernements et les Etats qui conditionnent la reprise. Plus les mesures seront efficaces, plus l’économie pourra repartir. Dans cette situation sans précédent, une formule revient : l’économie pénalisée par le confinement est «comme le sportif à qui l’on demande de cesser son entrainement». La reprise dépend du temps du confinement.
En France, Le ministre de l’Economie dit «préférer» des milliards de dettes que des faillites. Il s’est engagé à l’amélioration d’un Fonds de Solidarité pour prendre en charge ceux qui sont dans une vraie difficulté, avec redressement des aides, effacement des charges ou augmentation du plafond d’endettement. La mise en place du chômage partiel joue pour l’instant un rôle de filet de sauvetage. Mais les petites et moyennes entreprises sont au bord du gouffre. Plus les dommages sur l’économie seront endigués, plus les secteurs repartiront. Tels sont les derniers bilans. L’action d’un bouclier pour protéger cette économie sous cloche est conseillée, mais difficilement applicable partout.
En France, une prolongation du confinement en semaines est annoncée le 13 avril par le Chef de l’Etat. On a renforcé les contrôles avec 160 000 policiers et gendarmes déployés sur le territoire. Une stratégie drastique du «déconfinement» est envisagée en tenant compte de nombreux paramètres, secteur d’activité par secteur, régions par régions, avec dépistage de chaque famille et la séparation des personnes. Cependant, les tests sérologiques ne sont pas prêts et l’application mobile de repérage des cas différenciés encore moins.
Chaque pays européen devra s’engager dans un processus progressif à la fois de «déconfinement» et de reconstruction économique, au risque d’une rechute catastrophique.
Dans le cadre de cette remise en route générale, le principe décrié de la Mondialisation sera remis en cause avec des priorités de relocalisations, de choix alimentaires, de protection solide des animaux et du développement des économies locales.
Tout confinement s’accompagne, en principe, à un retour à la lecture. L’Histoire et les romans qui s’en inspirent, est là pour nous rappeler que les virus ont toujours affecté l’Humanité déjà éprouvée par les famines, la guerre et les fléaux, engendrés par l’Homme et ses excès d’appropriation territoriale. L’histoire des épidémies commence officiellement en l’an 249 à 262, pendant 13 ans, avec «la peste de Cyprien» qui frappe l’Empire romain. Plus tôt, les Egyptiens, les Sumériens laissèrent des traces d’épidémies dévastatrices. La peste noire du 14ème siècle fut une maladie endémique en Asie centrale et décima la moitié de la population occidentale. En fait, une catastrophe n’arrivant jamais seule, les virus ont souvent parachevé les massacres des guerres. Parmi les ouvrages les plus connus, de Sophocle à Stephen King, nombreux sont les livres inspirés par des épidémies, dont «Le Décaméron», chef-d’œuvre de l’écrivain italien le plus célèbre du Moyen-Age, Boccace, ou «Le journal de l’année de la Peste», terrifiant de réalisme, de Daniel Defoe, publié en 1722. Du siècle dernier, «La Peste» de Camus fait toujours recette par sa façon de montrer comment l’épidémie met à rude épreuve le pouvoir de la science et de la parole politique, mais renforce les liens de solidarité. Récemment, en 2017, l’écrivain sud-africain Deon Meyer, dans son roman «L’Année du lion», avait anticipé une catastrophe planétaire, en mettant en scène deux survivants, père et fils, du «viruscorona» qui venait de décimer 95% de la population mondiale.
Si un écrivain était en mesure, voici trois ans, de «faire valider scientifiquement que le coronavirus était bien l’agent pathogène le plus dangereux pour la race humaine» pour rédiger son ouvrage, comment les gestionnaires de ce monde n’aient-ils pas pu anticiper la situation?
Une catastrophe étant souvent accompagnée d’autres maux. Les effets négatifs du confinement sont souvent plus meurtriers que le virus. Indépendamment du regain de l’entraide sociale, et de nombreuses initiatives qui procèdent du bon sens en temps de crise, on constate chez certains sujets une exacerbation du stress et des pulsions de violences à l’égard des plus faibles.
En France, de jeunes enfants replacés provisoirement chez leurs parents tortionnaires ont subi des situations dramatiques.
Il en est de même de la «violence domestique quotidienne», en recrudescence, à l’égard des femmes et des jeunes filles. Depuis le 23 mars, date du confinement total, la situation est considérée comme «préoccupante» partout et notamment en Tunisie. Ce, malgré les dispositions renforcées récemment de protection, dont un numéro vert actif 24h sur 24h, l’ouverture de centres d’hébergement par la ministre des Affaires de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Séniors qui signale le nombre d’alertes de violences conjugales multiplié par cinq. Les échappatoires de sorties ou de départ du domicile ne sont plus gérables pour celles qui se sentent en danger.
Côté Nature, le bilan positif s’accentue. Celle-ci reprend ses territoires durant ce confinement et la réduction du trafic maritime : après les dauphins et les bancs de thons, deux cétacés rorquals, deuxième plus grand animal du monde pesant jusqu’à 70 tonnes, après la baleine bleue, ont été aperçus par une patrouille des agents des Affaires maritimes, au large des calanques de Marseille.
Dans ce changement écologique rapide chez les animaux moins agressés par les pollutions humaines, la Nature donne aux individus une leçon d’humilité. Constat confirmé : nous en avons besoin, mais elle, se suffit à elle-même. On pourrait se demander si «Nos amis les bêtes», titre d’une ancienne émission animalière, ne pencheraient pas vers un changement radical d’«amitié»!
Parmi d’autres effets collatéraux inattendus de cette pandémie, notons la situation inédite des réserves de pétrole qui s’accroissent en l’absence de consommation de carburant. D’après un dernier rapport du journal Les Echos : «Avec l’effondrement de la demande de produits pétroliers, les capacités de stockage se remplissent à grande vitesse aux quatre coins de la planète, y compris sur les supertankers en mer. Le coût du stockage explose, accentuant la pression à la baisse sur les cours du brut.»
On observe aussi quelques gestes remarquables de sportifs, comme la Fondation Zinedine Zidane qui offre des kits de réanimation et de respirateurs artificiels au profit des établissements de santé de la wilaya de Bejaïa.
Dans un autre domaine, Bill Gates, informaticien et entrepreneur américain, fondateur des logiciels Microsoft, «l’homme le plus riche du monde» et philanthrope, déplore avoir informé en mars 2015, alors que le virus Ebola faisait des ravages en Afrique, du risque imminent pour l’humanité d’une pandémie virale. Il n’a pas été entendu. Pour lutter contre le Covid-19, il offre 100 millions de dollars et encourage par sa Fondation les multimilliardaires de la planète, à verser 2 à 8 milliards.
N’oublions pas de rappeler qu’il est désormais prouvé que le Covid-19 survit trois heures en suspension dans l’air, que les symptômes mettent deux semaines à apparaître et que les personnes infectées peuvent être contagieuses même en période d’incubation.
C’est pourquoi L’OMS craint sur un grand relâchement consécutif au «déconfinement», avec l’arrivée d’«une seconde vague» plus meurtrière.
Concernant les traitements en France, des campagnes en faveur du traitement immédiat et systématique à l’Hydroxychloroquine ont recueilli 480 000 signatures avec la pétition d’un médecin et ancien ministre de la Santé en 2004, le docteur Douste-Blazy, mais, faute de décision gouvernementale, les secteurs médicaux restent «entre prudence et urgence».
Depuis le 22 mars 2020, un essai clinique européen répond au nom de «Discovery». Quatre traitements expérimentaux contre les formes sévères du Covid-19 sont testés en Belgique, au Pays-Bas, au Luxembourg au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en France où 800 personnes hospitalisées ont été incluses, pour trouver un traitement efficace.
Comme pour toutes les crises mondiales, cette épidémie est un moment de vérité sur la capacité des gouvernements à réagir, sur leurs systèmes de santé, leurs capacités de mobilisation, la solidité des institutions et sur le civisme des populations. Les forces et les faiblesses de chaque Etat apparaissent au grand jour. Après les bilans de circonstance, les sociétés devront penser vivre autrement en prévision d’autres crises sanitaires ou catastrophes écologiques générées par l’Homme. A ce titre, il sera impératif d’écouter les scientifiques et leurs avertissements.
Dans cette épreuve mondiale, où les économies de chaque pays sont si interdépendantes, l’entraide s’avère prioritaire. Comme dirait un économiste : «La corde qui nous relie les uns aux autres est aussi importante que le premier de cordée». Une réflexion morale récente, nommée «Ethique de la sollicitude», ou «éthique du Care», tend à faire de la responsabilité, de l’entraide et de l’attention aux autres une vertu majeure et essentielle, quelles que soient les options politiques des pays. Ce constat actuel «de vivre les uns AVEC les autres, plutôt que les uns CONTRE les autres» émerge sous l’effet de loupe de la catastrophe sanitaire. Le sauvetage de l’Humanité et de sa biosphère nécessite un rassemblement de toutes les forces vives. Les «vertus» éthiques et sociales de cette mise en danger collective font jour. Paradoxe sidérant des sociétés modernes. L’avertissement d’une pandémie prévue depuis des années par les scientifiques oblige chaque pays à prendre des dispositions urgentes, mais dans une approche globale.
Cette crise interroge aussi les experts. L’ensemble confirme l’origine dans les mises en danger des systèmes naturels. Après les épidémies d’Ebola et de H1N1, ce virus n’est pas une première, mais une «répétition de processus déjà étudiés». Cette récurrence de crise a une origine écologique. Suivant les spécialistes, la destruction profonde des écosystèmes et notamment la déforestation, conduisent à la restriction des lieux de biodiversité, avec pour conséquence directe la mise en contact des formes de vie qui s’y trouvent et les sociétés humaines. Suivant un spécialiste°°, ces actions contre les écosystèmes révèlent au grand jour des virus ou micro-organismes très dangereux pour l’homme. Depuis longtemps les écologistes et les scientifiques dénoncent cette «sixième crise d’extinction des espèces» aux conséquences catastrophiques. Il faut arrêter cette destruction et le trafic d’animaux vivants qui s’y ajoute. L’interaction de ce phénomène écologique et de la société humaine aboutissent à ce fléau. En prévision d’une «seconde vague», la meilleure stratégie pour les pays impactés, jusqu’à la disponibilité d’un vaccin, consistera à trouver un point d’équilibre entre la reprise des activités économiques et le maintien des mesures de contrôle du virus.
Pour garder une note d’espoir : la wilaya de Blida, épicentre de l’épidémie en Algérie, envoie des échos encourageants par le biais du CHU Frantz Fanon. Une information donnée par TSA, par l’intermédiaire du Docteur Amine Bendali, médecin réanimateur et président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs, le dimanche 12 avril, qui annonce que le nombre de patients atteints du Covid-19 admis en réanimation, aurait diminué.
«Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots», disait déjà dans les années 1960, le militant non violent Martin Luther King. Sur notre navire Terre à la dérive, restons chacun mais ensemble les artisans de notre sauvetage.
J. B.
° Aurélie Palud, agrégée de Lettre modernes et docteure en littérature générale et comparée au CELIAM de Université de Rennes II.
°° Hervé Kempf, rédacteur en chef de «Reporterre», quotidien de l’écologie.