Par M’hammedi Bouzina Med
En ces temps de grand malheur, le monde se questionne sur son mode de vie et entre dans une sorte de prière pour exorciser les démons du capitalisme qui menacent sa survie. Il promet de changer. Est-ce possible ?
Soudain, le monde est sur le point de s’arrêter. Et donc la vie qui va avec. Un «grain» de virus, c’est à dire un organisme si minuscule, plus petit qu’un microbe, peut donc enrayer le cours tranquille de l’immensité du monde, l’enfermer chez lui et le terroriser sans relâche jour et nuit. Quelque chose a craqué quelque part dans ce monde devenu bancal, violent pour les plus faibles, furieux contre la nature et incertain pour tous. «Plus rien ne sera comme avant le Covid 19», disent çà et là des voix paniquées. «Il faut changer les règles du jeu de ce monde», disent d’autres voix plus savantes. Le traumatisme est grand et ses conséquences imprévisibles. Pourtant, pourtant… combien d’épreuves aussi douloureuses et souvent largement plus dramatiques a vécu notre monde par le passé pour, en fin de compte, répéter les mêmes erreurs et sombrer de nouveau dans son aveuglement, ses errements, ses violences ? Guerres continues depuis la nuit des temps et jusqu’à nos jours en ces moments mêmes de pandémie du Covid-19, fléaux ravageurs, pestes, choléra, typhus… famines, de nouveau, guerres, violences, famines… A chaque épreuve vécue dans la douleur et le deuil, le monde s’est promis de ne plus revivre les mêmes erreurs et promis de changer les «règles du jeu». Résultat : jamais le monde n’a été aussi seul, égoïste, injuste pour les plus faibles, violent pour et contre lui-même. Aujourd’hui, ce même monde promet de s’inventer un autre mode de vie plus solidaire, plus juste, plus humain. Les plus philosophes disent que c’est la fin du capitalisme financier qui a rendu ce monde ingouvernable. Il nous faut plus de solidarité, de partage des richesses et plus de liberté et d’humanisme. Bien sûr, face au malheur, l’Homme médite sur sa culpabilité, appelle à la rédemption et promet d’être plus sage. Et toujours le monde a failli à ses promesses et engagements et recommencer avec ses démons avec plus de violence et de sentiment d’impunité. «Cette fois-ci, c’est différent», estiment les plus optimistes. «L’argent, la monnaie ne seront plus le centre du monde», ajoutent-ils. Le problème est que pour guérir de l’épreuve que nous traversons il faut beaucoup d’argent. Il en faudra encore plus pour reconstruire l’économie, les échelles de productions et réparer les casses sociales qui nous attendent demain. Voilà une excellente occasion pour «l’argent, le capital» de s’inviter dans l’aventure, de répondre aux besoins de milliards de gens et par la même occasion de ressusciter et de montrer sa «générosité».
Faut-il rappeler que le capitalisme s’est toujours nourri de guerres et de catastrophes et s’en est sorti toujours plus fort, plus hégémonique passant du stade commercial à l’industriel et, de nos jours, au stade financier ? Par quel miracle va-t-il se muer en système de partage et de justice ? C’est comme croire au «suicide» volontaire du capitalisme financier.
Demain, passé le dernier jour du Covid-19, le monde reprendra ses habitudes, remettant chacun à sa place : le riche au dessus, le pauvre en bas. Quant aux dirigeants politiques, élus et technocrates, ils «reploieront des palettes d’arguments et d’ingéniosités pour nous convaincre des inévitables politiques de restructurations, d’aménagements des dettes, de PIB, d’équilibres budgétaires…», soit le langage si cher et utile à la logique de l’argent et de la monnaie. Notre monde se sortira de cette épreuve avec un lourd traumatisme, certes, mais en guérira comme il a guéri de tous les traumatismes précédents qui ont marqué son Histoire. Rien de plus, rien de moins. Cette propension à l’oubli (la guérison) est dans l’ADN des sociétés et des être humains pris individuellement. Tout en appelant à la solidarité, au partage çà et là, des vécus nous disent tout le contraire : ici on vole des masques de protection jusque dans les hôpitaux et pharmacies, là-bas les commerçants du coin doublent les prix de leurs produits de nourriture, ailleurs on écoule des produits contrefaits, quelque part encore des laboratoires offrent des médicaments périmés en Afrique, des charlatans proposent des remèdes miracles aux plus indigents à prix d’or… L’instinct de survie peut mener à une extrême violence jusqu’au sein des familles, entre amis et voisins.
En ces moments de grand confinement, de peur et d’incertitudes pour les plus vulnérables, le monde multiplie les promesses de sa propre rédemption, manifeste de grands sentiments de solidarité et de partage, met son «humanité» au-dessus de tout. Alors, profitons-en de ces rares manifestations en ces temps de malheur, répétons-nous que ce sera différent après cette difficile épreuve. Cela nous servira au moins à passer plus sereinement ces jours et nuits de confinement, nous évitera encore plus de stress et de tristesse. Après, on verra…
M. B. M.