Par Rabah SAADOUN
A Vialar, à l’instar de toutes les villes algériennes, on n’avait ni jeux électroniques, ni tablettes, ni trottinettes mais on était si heureux avec peu de moyens pour jouer et se divertir. Je me souviens très bien des jeux de notre enfance. Des jeux de notre temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. Des jeux qui ont contribué énormément à notre développement et épanouissement sur tous les plans.
On jouait beaucoup à la «roulma» (roulements) que je considère comme étant l’ancêtre de la trottinette. Une simple planche, des lattes, quatre ou trois roulements à billes récupérés chez un mécanicien, un boulon avec écrou, une scie, des clous, un marteau… et le tour était joué. Deux pièces de bois en guise d’essieux et qui passent dans le moyeu des roulements à billes. L’essieu arrière était fixe alors que celui de l’avant était rivé sur une tige mouvante autour d’un axe vertical et qui nous donnait la liberté d’aiguiller l’engin à l’aide de nos pieds. On se faisait pousser par un ami ou on choisissait des pentes pour se lancer à toute vitesse. On prenait souvent la pente de l’ex-école Emir Abdelkader, le long de la rue des frères Hamdi. C’était tout le temps, à vos marques ! Prêts ! Partez ! Que de tamponnages ! De carambolages ! De blessures ! De chamailleries ! On en avait vu de toutes les couleurs.
«Pitchak» (le pied-de-chaque) était un autre jeu traditionnel qui ne nous demandait presque rien à part un bout de craie avec lequel on dessinait deux cercles qui délimitaient le terrain. Le «pitchak» était fabriqué à partir d’un morceau de tuyau en plastique ou de vieilles chambres à air de vélo qui étaient découpées en fines rondelles et assemblées avec une ficelle pour former une balle de caoutchouc. On le jouait à deux sous forme de jeu d’opposition. On avait le droit d’effectuer des jongles avec les pieds, les genoux, la tête et la poitrine. Et pour marquer un point, il suffisait de faire tomber le «pitchak» dans le terrain de l’adversaire. C’était un jeu basé sur l’habileté motrice et s’apparentait aux exercices de jonglage au pied pratiqués par les footballeurs. Un jeu non violent et praticable par tous et partout !
Par ailleurs, je n’aimais pas du tout «tarboula», le tire-boulette ou le lance-pierre qui, pour moi, était synonyme d’horreur pour les oiseaux surtout. Il était constitué d’un manche supportant deux branches en Y sur lesquelles s’attachaient des bandes ou paires élastiques dits carrés reliées à une bande souple en cuir. On plaçait le projectile sur la bande de cuir et on tendait l’élastique en éloignant le bras qui tient le manche et le tir était déclenché en relâchant la pression des doigts sur le projectile qui était envoyé au loin sur la cible visée. La majorité des enfants de l’époque en avaient un et organisaient des sorties pour la chasse de tout ce qui vole. Le bourreau était bel et bien un certain Haouache qui la manipulait à merveille. Que de pigeons, de moineaux et même des chats ont été exécutés sous ses mains avec cette redoutable arme.
«Taboula», «daraja» et les belles agates
Outre «tarboula», «el fakha» le piège à oiseaux n’avait aucun secret pour lui. Que des fois, on allait avec lui pour le tendre. Une fois l’appât placé, c’était souvent une graine de blé ou un ver de terre, il camouflait le piège avec une légère couche de tourbe et on attendait loin. J’avais beaucoup de peine à voir, à chaque fois, le cou d’un oiseau serré entre les deux arceaux de laiton du piège à ressort.
La saison estivale, on était très heureux lorsque nos papas achetaient des abricots car ça nous permettait d’avoir un tas de noyaux pour épater les copains. Chacun ramenait ses noyaux et on organisait des jeux. C’était notre bowling traditionnel à nous.
Le jeu des noyaux était donc un jeu d’été que l’on pratiquait beaucoup dans notre ville et le plus souvent à l’abri du soleil dans une cour, une «skifa» ou dans les halls d’entrée des immeubles à la fois parce qu’il y faisait frais et aussi pour être tranquilles. Il s’agissait de gagner le plus de noyaux possible à un ou plusieurs adversaires. Chacun disposait contre un mur un ou plusieurs petits tas : chaque tas était composé d’une base de 3 noyaux surmontée d’un 4ème noyau. Nous nous placions ensuite derrière une ligne à 3 ou 4 mètres des tas et, chacun à son tour, nous lancions un noyau pour «déquiller» les tas. Si le coup était manqué, le joueur suivant tirait mais si le jet touchait son but, il gagnait le nombre de noyaux qui formait ce tas. Ou bien on se mettait à deux de part et d’autre d’une sortie de gouttière et on y jetait avec force un noyau qui en tombant devait atteindre le maximum de noyaux par terre. Tous les noyaux touchés étaient gagnés.
Si ce n’était pas les noyaux, c’était automatiquement «el baye», les billes ! On les achetait chez l’épicier du coin. Des billes transparentes et de toutes les couleurs. Chaque joueur lançait sa bille à l’emporte-pièce et l’adversaire d’une chiquenaude tentait de la percuter à bout portant. Au final, c’était celui qui réussissait à heurter la bille de l’autre. «Lagata», l’agate (bille taillée dans l’agate) était la bille la plus belle et donc la plus convoitée car elle était grosse et multicolore.
Faute de moyens, nos parents ne pouvaient pas nous acheter des bicyclettes. On se contentait de la «daraja», un simple cerceau métallique provenant de la jante d’un vélo usagé, d’une tige et notre monocycle était là prêt à rouler. Le cerceau-roue était lancé et tournait à l’efficacité d’une tige à peine plus longue qu’un double décimètre recourbé à son extrémité. Et c’est le bout crochu qui impulsait par à-coups une rotation cadencée au cerceau qui s’élançait bruyamment sur le pavé de la ville. Pratiqué seul ou en groupe, ça nous procurait beaucoup de joie et c’était l’une de nos distractions favorites. On créait un boucan d’enfer surtout l’été. On était souvent réprimandé pour cela, par nos parents surtout le temps de la sacro-sainte sieste estivale.
Les osselets et la boite de «Guigoz»
On partageait aussi avec les filles un jeu qui était lui aussi très pratiqué : la marelle. Un simple croquis esquissé à la craie sur le pavé. Il fallait jeter avec force et adresse, dans chaque case, un bout plat de pierre ou de carrelage, une boite à chiffon de l’ardoise ou tout simplement une boite de tabac à priser afin de pouvoir progresser alors dans les différentes cases à cloche-pied. Seulement, il fallait se garder d’empiéter ou de chevaucher les lignes du tracé. Le gagnant était celui qui réussissait à placer son jeton ou palet jusqu’au dernier chiffre et à effectuer l’itinéraire du croquis. Ce jeu nous a beaucoup aidé à nous développer sur tous les plans, à nous initier à maintenir notre équilibre, à perfectionner notre adresse et à compter aussi.
«Zozli», les osselets, par contre était un jeu réservé uniquement pour la gent féminine contrairement à «karade» (cailloux) exclusivement masculin. La fête de l’aïd-el-kébir était l’instant propice pour elles afin d’extraire les osselets qu’elles récupéraient du tarse que l’on trouve dans la partie prééminente des pattes du «bouzellouf». Le jeu d’osselets s’exerçait à la main. Cinq osselets, dont un qu’il fallait peindre d’une couleur pour le distinguer des autres, étaient jetés à la manière des dés çà et là sur le sol et qu’il fallait collecter un à un en prenant le soin de garder dans l’étroitesse de sa paume les osselets déjà ramassés. Evidemment, le jeu requérait de l’habileté, de la virtuosité et de la promptitude. Seulement et là où ça se compliquait crescendo, c’était lorsqu’il fallait saisir deux osselets à la fois, puis trois, puis quatre. Cela exigeait d’autant plus de doigté, notamment à l’ultime étape où il était prescrit de faire entrer les osselets un par un dans le tunnel qu’esquissait la main gauche. Pour ce qui est de «karade», c’était un jeu constitué de cinq petit cailloux de même taille et dont le principe ressemblait beaucoup aux osselets.
Pour le Moumoud (Mawlid Ennabaoui Charif), nul pétard n’égalait la boite cylindrique de lait en poudre «Guigoz», de confiture ou de concentré de tomate vide qu’on débarrassait d’un couvercle et dont on criblait l’autre de trous. On la maintenait à l’aide d’un support en guise de guidon et on y mettait à l’intérieur une bougie qu’on allumait une fois la nuit tombée. On courait avec dans tous les sens en simulant les phares des voitures et des motos.
Outre ces jeux, on peut citer d’autres qui ont fait les beaux jours de notre enfance : la corde, les gendarmes et les voleurs, «dama» un jeu qui s’apparente au jeu d’échecs, «sig» (jeu de tiges de roseau), «Zarbout» (la toupie), «el mokaâl», la fronde…etc.
L’évocation de tous ces jeux éveille en nous tant de souvenirs d’enfance et de jeunesse. Eh oui ! Ne dit-on pas : jeu après jeu, l’enfant devient « je », pour reprendre Arnaud Gazagnes.
R. S