L'Algérie de plus près

La cage de fer

Par Rachid Ezziane

La cage de fer (en anglais iron cage), appelée aussi cage d’acier, n’est pas une cellule pour prisonniers, animaux ou oiseaux. Elle n’est pas non plus une cage pour se cacher ou se prémunir contre des dangers. Mais c’est une cage ou cellule virtuelle, non pas pour quelques individus mais pour «berner» le plus grand nombre de personnes, voir des sociétés complètes.

En vérité, la cage de fer est un concept sociologique (voir philosophique) conçu par le philosophe Max Weber pour dénoncer (ou sensibiliser, c’est selon) la rationalisation de la vie moderne telle que conçue par le capitalisme (qui veut dire : faire croire aux citoyens qu’il n’y a pas d’autres système de «vie» que celui proposé par l’Occident et son capitalisme pur et dur). Alors, bon an mal an, depuis la révolution industrielle, l’étau n’avait cessé de se resserrer sur la ceinture des pauvres gens jusqu’à devenir un piège instauré sur le calcul, le contrôle et enfin le consentement.

Cette course effrénée pour l’intérêt et le profit finit par devenir un «habitus». C’est-à-dire que l’acte quotidien n’est plus déterminer par la volonté interne de l’individu (ou citoyen) par rapport à son ressenti, sa culture ou son feeling, mais devient une contrainte extérieur à laquelle on obéit à cause des règles du marché et de la bureaucratie. Et ainsi, la société devient une grande machine bien huilée sans aucune autre signification que celle tracée par les bailleurs de fonds…

Max Weber parle de «machine humaine» et de «mécanisation bureaucratique». Qui peut aujourd’hui sortir de ce «carcan» d’acier ? Qui peut se passer de la carte magnétique, du téléphone numérique ou de la publicité ? Qui pose, aujourd’hui, des questions sur ce qu’on lui donne comme nourriture, travail ou loisirs ? Personne n’est en mesure d’échapper de ce rouage bien pensé. D’ailleurs, tout le monde attend la nouveauté de ce qu’on va lui servir dans sa cage. Qui est plus rouillée que dorée…

«Le comportement humain n’est plus qu’adaptation, à la façon d’un engrenage. Les croyances se sont fragmentées, les fins éthiques se sont privatisées. L’homme occidental est enserré dans un habitus proprement économique. Il est façonné intérieurement par «l’esprit du capitalisme», qui est beaucoup plus qu’un simple  ̎esprit ̎…», écrit Max Weber dans son analyse du système capitaliste moderne.  Et tout le monde, y compris les intellectuels et les hommes politiques, tous sans exception se complaisent dans le moule de «la cage de fer». Car, pour Max Weber, il n’y a pas d’autre qualificatif pour désigner ce «Big Brother» à l’occidental. On a beau faire miroiter le slogan de la liberté à la face des pauvres gens, mais la réalité du quotidien avec ses caméras, son passeport et carte d’identité biométrique (même les réseaux sociaux se sont mis à l’espionnage), ses cartes de crédits et autres gadgets n’a laissé aucune liberté de manœuvre à l’enfermé à double tour dans la cage d’acier de l’économie capitaliste…

Et la porte de la cage de fer reste ouverte à tout adepte au «miroir des alouettes» ; on y vient de partout renflouer les caisses des capitalistes maîtres du monde, et on leur fait miroiter les bienfaits du marché et de la consommation tous azimuts. Et pour les plumer mieux, on leur crée pour chaque chose un événement. A chaque jour suffit sa fête, avec ses peines et ses dépenses mirobolantes. Les voilà, les pauvres «habitus» ne sachant sur quel pied danser, ni à quel saint se vouer. J’ai vu un jour une femme, emmitouflée dans sa djellaba, ici chez nous, supplier un pâtissier pour qu’il lui réserve une bûche pour le réveillon. J’ai eu de la pitié pour elle car elle ne savait pas qu’elle était enfermée dans une cage en fer moulue dans la marchandisation occidentale. Un autre, ayant pied à terre là-bas de l’autre côté de la mer, n’a pas trouver de plus astucieux, et pour faire dans la modernité occidentale et le faire passer aux siens, que d’avoir ramené à ses parents en Algérie un sapin de Noël. Et d’autres et d’autres qui ont cru avoir réussi parce qu’ils ont appris les gestes et les habitudes du monde occidental jusqu’à renier leur culture ancestrale. Mais la cage de fer les a enserrés en un «habitus» sans précédent : marche ou crève !…

Marche ou crève est l’unique «rêve américain» offert aux sociétés modernes d’aujourd’hui. Le reste n’est que comptes bancaires renfloués de dollars et d’euros de ceux-là mêmes qui vendent des paradis dans des cages d’acier.

R. E.