Par Khaled Ali Elouahed
«Rome a laissé les traces de son passage sur les pierres en Algérie comme ailleurs. Aujourd’hui, leurs descendants, les Italiens, confinés par le coronavirus, ont conquis le cœur du monde en choisissant l’heure (20h) pour allumer les balcons et applaudir à tout rompre les équipes soignantes pour leurs dévouements h24 en ces moments très difficiles»
Il y a des paroles célèbres et il y a des gestes célèbres qui élèvent des personnes et des peuples aux rangs supérieurs des civilisations. Il y a des peuples qui laissent des traces de leurs passages sur cette terre. Il y a également ceux qui disparaissent sans même dire au revoir ou adieu au niveau individuel autant qu’au niveau de peuples. Ce qui me fait dire cela a trait avec l’actualité immédiate. Avant d’arriver à cela, je citerai certaines paroles et certaines positions. Comme nous sommes dans les dates du 19 mars, je commencerai donc par la glorieuse révolution de novembre 1954. «Jetez la révolution dans la rue et le peuple en prendra soin», dixit le chahid Mustapha Benboulaid. Suit la phrase de Larbi Ben M’hidi : «Donnez-nous vos chars et vos avions nous vous céderons volontiers les couffins».
Après l’indépendance, et après l’intronisation d’Ahmed Benbella en qualité de président de la république, et après la guerre des sables que nous nous a livrée notre voisin de l’ouest alors que nous n’avions pas encore fini de compter nos chouhadas, Ahmed Benbella déclara ceci : «Hagrouna», ce qui mit le feu aux poudres et le peuple algérien est sorti, les mains nues, pour aller guerroyer contre un voisin belliqueux et jaloux.
Suivra la période de Boumediene. D’abord en 1967, lors de la guerre des 6 jours, quand il envoya le peu d’avions de combat que nous avions (deux escadrilles de Mig 21). Il prononcera cette phrase qui reste gravée dans la mémoire des algériens : «Vaincre ou mourir». Le même président ajoutera plus tard dans un discours sur la Palestine : «Nous sommes pour la Palestine agresseur ou agressée».
Ici, Boumediene n’a fait que traduire la pensée populaire algérienne. Cette phrase liera à jamais la fraternité entre Algériens et Palestiniens.
Dans cette même période, Alger qu’on appelait la blanche fut baptisée par les révolutionnaires du monde entier «La Mecque des révolutionnaires». La décadence suivra et nous ne vécûmes que sur nos antécédents comme nous ne vivons aujourd’hui que sur la rente pétrolière.
Lors de la décennie noire, un autre homme politique dira, lors de l’enterrement d’un géant de la culture algérienne Abdelkader Alloula en l’occurrence : «La peur doit changer de camp».
En 2018 et 2019, la France a vécu le phénomène des gilets jaunes. Le 22 février de l’an 2019, démarre ce qu’on appellera plus tard «El Hirak el moubarak». Lors de ce hirak, les jeunes et moins jeunes algériens ont donné au monde une leçon de civilisation jamais observée dans le monde.
A l’inverse des gilets jaunes qui vivent dans une nation développée, dite aussi de grande civilisation et qui ne laissent derrière eux que gravats, bris de glaces, voitures calcinées et trottoirs défoncés, les algériens, eux, ramassent tous les déchets laissés derrière eux pour remettre la rue à la circulation des voitures et aux piétons, propre comme un sou neuf. Ces images ont fait le tour du monde pour attirer vers les algériens de tous bords un profond respect. Cette même image sera reproduite au Caire en Egypte lors de la coupe d’Afrique des nations. L’Afrique et le monde entier découvriront une Algérie brillant de mille feux. L’Afrique attendait Mahrez, il fut magique. L’Afrique et le monde découvriront de petits lutins comme Youcef Atal, Benaceur, le duo d’enfer Belaili-Bounedjah, l’humilité de Féghouli, la sagesse de Brahimi, et j’en passe. Ils découvriront également un meneur d’hommes d’une rare qualité, un gagneur et un nationaliste né, Belmadi ! Celui qui a marqué le seul but contre la France de Zidane à l’apogée de sa forme. Ce qui a fait dire à certains commentateurs égyptiens que la force de l’Algérie résidait en son entraineur Belmadi.
Les supporters algériens n’étaient pas en reste, bien au contraire, ils se sont mis à la hauteur de leur équipe et son entraineur. C’est ainsi que les médias sportifs et politiques mettaient l’accent sur la conduite de ce formidable public. A la 22ème minute de chaque rencontre de l’Algérie, nos supporters scandaient : «Allahou Akbar Abou Trika», suivi tout de suite par «Falestine echouhada».
Vous connaissez la suite, nous avons gagné haut la main cette coupe d’Afrique ramenée du pays des pharaons par les enfants de Ben M’hidi. Nous avons gagné surtout l’estime et le respect des peuples au-delà de la coupe d’Afrique.
Hélas, mille fois hélas ! Nous ne savons pas capitaliser nos biens, nous ne savons pas fructifier nos victoires. Même la glorieuse révolution de novembre 1954, nous n’avons pas su rentabiliser le capital estime du monde entier pour le traduire en développements chiffrés économiquement positifs. Les mêmes supporters algériens du Caire se retrouvent pourtant au Mouloudia d’Alger, au Mouloudia d’Oran, Au CS Constantine, à la JS Kabylie etc. Quand leurs équipes gagnent, c’est la fête. Quand leurs équipes échouent, c’est la casse des stades, des bagarres et autres blessures aux équipes visiteuses et les supporters qui les accompagnent. Civilisés ? Civilisations ? Rome a laissé les traces de son passage sur les pierres en Algérie comme ailleurs. Aujourd’hui leurs descendants, les italiens, confinés par le coronavirus, ont conquis le cœur du monde en choisissant l’heure (20h) pour allumer les balcons et applaudir à tout rompre les équipes soignantes pour leurs dévouements H24 en ces moments très difficiles. Chez nous, les journaux le rapportent à chaque fois que des médecins sont agressés, des infirmiers injuriés et menacés… Pourquoi ne savons nous pas perpétuer nos victoires, pourquoi ne savons nous pas fructifier ce que nous avons de positif ? Pourquoi nous ne nous conduisons pas en civilisés. Et si on tirait les leçons du Hirak ? Marcher ensemble, nettoyer notre passage. Translation comme disent les matheux et «Iskatate» diront les sociologues arabes. Pourquoi alors ne pas idéaliser ces gestes et se comporter en civilisés lors de cette pandémie «coronavirussienne» en n’achetant que pour les besoins de trois ou quatre jours d’aliments et de produits pharmaceutiques afin de ne pas provoquer les ruptures de stocks ? La solidarité doit être le maitre mot pour vaincre cette saloperie de virus. La date du 19 mars est significative à plus d’un titre. Pourquoi ne pas en tirer les leçons ? Pourquoi nous n’écoutons pas nos experts de la santé publique ? Si seulement on se comportait comme les algériens car, nous, ce n’est plus nous. Nous avons perdu notre identité.
K. A. E.