L'Algérie de plus près

«Bien portant avec la médecine du prophète», des Drs Michel Canesi et Jamil Rahmani

Soyons les jardiniers de nos vies

Depuis Hippocrate, nous savons que la nourriture est notre première médecine et les Anciens nous ont appris que l’équilibre est préférable en toute chose, notamment pour notre régime alimentaire. Parmi les dictons sur la médecine et la maladie, rappelons-nous que «la tempérance est le meilleur médecin». On ne saurait trouver proverbe plus adapté pour qualifier l’ouvrage des docteurs Michel Canesi et Jamil Rahmani. En effet, tous deux se sont penchés sur le Traité de Jallal ad-Dine As-Suyuti, médecin soufi du Caire du XVème siècle, au savoir encyclopédique, inspiré par les grands maîtres de son époque, le Coran, les Hadiths et les prescriptions du Prophète Mohamed. En partant  de «la Théorie des Humeurs», «pierre angulaire de la science médicale» reprise par ce savant, les auteurs répertorient les principes de vie et leur rapport de force et de qualité avec l’environnement direct. L’essai, enrichi d’illustrations anciennes, révèle une conception à la fois intemporelle et très actuelle de la médecine.

Quand, sous l’accélération des technologies, de la surindustrialisation soumises aux lois impérieuses du marché, les sociétés s’emballent vers un avenir incertain, la nature, sous toutes ses formes, demeure un modèle unique dans son équilibre parfait et immuable. En réhabilitant les principes élémentaires de vie saine, les traitements anciens fondés sur les lois du vivant et le respect de l’entité, les auteurs restaurent les bienfaits des recettes millénaires «de grand-mère». A ce sujet, Jamil Rahmani évoque sa jeunesse auprès de sa grand-mère très pieuse qui, en vieillissant, se préoccupait beaucoup de sa santé. La lecture du Coran et les Hadiths avaient nourri sa façon de se soigner, du même coup, grâce à elle, celles de ses proches et la sienne.

Dans le sillage de ce passé, les souvenirs d’enfance rappellent à l’auteur la vision d’un «islam de fête et de douceur». Une fois encore, les parcours personnels illustrent l’Histoire de leur diversité culturelle et cultuelle. On l’aura compris : l’intérêt de cet ouvrage réside dans la singularité de sa démonstration en prise directe avec le réel, où les théories cèdent le pas à l’expérience des faits. Observer la nature et se nourrir de ses dons, c’est, pour les auteurs, revenir aux fondamentaux répertoriés et édictés par le Prophète. C’est éveiller l’individu à une quête du bien et du vrai. C’est également redécouvrir des ressources naturelles insoupçonnées à portée de jardin pour améliorer sa qualité de vie.

Au départ, «La médecine du Prophète» est un livre composé par le médecin Jallal ad-Dine As-Suyuti autour du XVème siècle, «à la vie entièrement consacré aux livres et à la connaissance», nourri des conseils d’Hippocrate «le père de la médecine» et des «conseils, observations et pratiques» du Prophète Mohamed. Parmi les apports de ses quatre cents ouvrages répertoriés, le savant ajoutera aux quatre humeurs et aux quatre tempéraments, «un cinquième tempérament», sorte de «mixte des quatre autres», innovation dans l’approche des individualités.

Pour le Prophète comme pour le médecin, «la santé du corps ne pouvait se concevoir sans la santé de l’esprit». Le constat des deux auteurs est formel : ces préceptes, préconisés de nos jours, l’étaient déjà par l’Islam du VIIème. «Rien ne se crée, tout se transforme», dirait l’adage populaire. Citant les étapes essentielles  le manger, le boire, le mouvement, le repos…» comme règles essentielles pour rester «en bonne santé», les deux auteurs détaillent chacune de ces actions vitales sous forme d’impératif quotidien. Pour le boire, un des auteurs insiste sur les boissons de son enfance et leurs règles de base. Les souvenirs affluent et déclinent la panoplie des conseils et des préparations familiales. Les recettes exhumées de la mémoire sont autant de témoignages émotionnels d’un temps bienfaiteur. Sans extrapoler sur cette quête, il y a même dans l’évocation de la fabrication par l’auteur enfant du fameux «lait ribot» ou petit-lait, un peu de la recherche du temps perdu et retrouvé.

Pour confirmer le bien-fondé ancestral de cette «philosophie de l’alimentation», les auteurs citent quelques sentences extraites de «La Médecine du Prophète». Pour l’essentiel, ces prescriptions «rejoignent les concepts actuels en matière de nutrition à savoir la réduction de l’apport alimentaire». Parmi celles-ci figure le jeûne intermittent, avec sa restriction calorique qui diminue les phénomènes inflammatoires à l’origine de nombreuses maladies.

A la question «Quoi manger ?», des réponses précises sont apportées, mais là encore le bon sens prime : «Mangez ce que vous voulez, mais mangez sain». Rester attentif à la variété et à la qualité de son alimentation apparaît comme la règle majeure, toujours éclairée par les exemples personnels de chaque auteur et les conseils du Prophète. Il en est de même pour tous les besoins essentiels passés en revue, même les plus intimes, avec le chapitre «le coït» accompagné du problème de l’impuissance. Les chapitres «les affections de l’âme», «l’hygiène», «de la prière» sont abordés avec discernement et sobriété.

Avec «les aliments, alicaments et substances végétales bénéfiques», chaque rubrique bénéficie des notes de «La médecine du Prophète», souvent illustrées d’un commentaire personnel en lien avec l’enfance de Jamil Rahmani. En tête de liste : le citron, cher au Prophète, et parce que le citronnier trônait toujours dans les jardins de l’enfance d’un des auteurs.

Cette preuve comme une volonté d’adéquation culinaire et géographique est une constante rassurante : l’évidence d’un rapport parfait de la Nature et de l’Homme recherché par les Sages depuis des temps immémoriaux. Savoir que cet équilibre nous entoure est sécurisant, mais implicitement mobilisateur d’une prise de conscience de sauvegarde de ce patrimoine universel. Parce que je suis informée de ce don généreux et accessible de la nature, je dois renouer les liens avec elle et protéger coûte que coûte mon environnement.

Cette liste de végétaux bénéfiques est aussi une mine d’informations gastronomique, aromatiques, curatives et d’usage pratique incontestable. Il en est de même pour «les parfums et plantes parfumées». Et comme disait le Prophète «On ne refuse jamais un parfum».

Pour parfaire cette démonstration, les auteurs proposent «Quelques traitements du temps du prophète» et «Quelques médicaments en terre d’Islam» aux principes savants et efficaces toujours d’actualité. La pertinence pratique et accessible de ces conseils, précédée de cette citation : «… car Dieu n’a pas envoyé de maladie sans qu’il lui ait trouvé son médicament, à une seule exception près, le grand âge», nous affranchit du scepticisme. L’originalité de cet essai à la fois savant et empirique par les exemples estampillés «de mon enfance» en fait un manuel pertinent à l’usage de tous, un vade-mecum de la bonne santé aisé à consulter, un retour aux sources du bien-vivre don de la philosophie antique.

Et plus qu’un guide de bonne santé, cet ouvrage révèle la science approfondie du Prophète. Mais également, en revenant aux fondamentaux de l’existence et aux vertus de la nature, les auteurs rendent hommage aux connaissances pluridisciplinaires de la civilisation arabe. Actuellement et dans la plupart des pays, le constat en matière de nutrition confirme une méconnaissance généralisée.

En effet, citadins et faux ruraux sont devenus ignorants du potentiel des produits naturels. C’est souvent quand certaines pratiques disparaissent de la sphère sociale qu’elles prospèrent symboliquement dans la littérature et dans de nouveaux modes de vie. Rassurons-nous, les soins par les plantes n’ont pas disparu. Depuis quelques décennies, les médecines non conventionnelles, surnommées médecines douces, alternatives ou traditionnelles comme la naturopathie, séduisent et même croissent chez ceux qui recherchent la valeur des procédés naturels. Associée à une philosophie d’existence, cette pratique savante proscrit le recours aux molécules chimiques aux effets secondaires souvent néfastes.

Ce texte s’inscrit donc, comme le faisait Le Prophète, dans le désir de considérer le corps comme un tout et non de le traiter «morceau par morceau». Cette conception participe du besoin de rétablir l’harmonie du corps entier et de l’esprit. Mieux se nourrir et se soigner doit redevenir notre culture quotidienne.

Avec leur traversée intimiste au pays des souvenirs, leurs prescriptions judicieuses et leurs jugements médicaux, les auteurs convient chacun à un voyage-découverte authentique vers un équilibre physique et mental.

Cet ouvrage riche d’enseignement scientifique et gardien d’une poésie millénaire de la nature se révèle au fil des pages un allié de notre santé. Ses témoignages très documentés participent de cette prise de conscience d’un bien-être accessible.

Séance tenante, lecture à partager sans modération, au-delà de la satiété ! La  nature, humaine et environnementale, si fragilisée, vous en sera reconnaissante…

«Bien portant avec la médecine du Prophète», Editions JC Lattès (2019)

Biographie

Michel Canesi est dermatologue, Jamil Rahmani est anesthésiste et Chef de Service.

«Le syndrome de Lazare» est leur premier roman en 2006, «Alger sans Mozart» (Naïve Editions, 2012), «Villa Tayllo» (Mercure de France, 2017).