L'Algérie de plus près

«Aux portes de Cirta» de Mohamed Abdallah

L’épopée de Massinissa réactualisée

Par Jacqueline Brenot

«Dis-moi d’où tu viens et je te dirai où tu vas», cet adage pourrait ouvrir ces «Portes de Cirta» pour découvrir les origines mythiques de l’Algérie et ce passé glorieux si méconnu, car longtemps négligé. Grâce au talent confirmé de cet auteur dont l’érudition radiante et passionnante défie les lois de l’âge, l’Histoire atteste ici de sa renommée et de ses leçons éternelles.

Derrière les exploits de personnages célèbres, s’affirme la personnalité du souverain Massinissa et son rôle incontestable sur Cirta, la capitale numide, «mystérieuse passerelle entre le toit du ciel et les entrailles de la terre», position clef et stratégique, «place forte contrôlant toutes les voies routières».

La vie quotidienne des hommes et des femmes évoquée au plus près des vicissitudes de l’époque, de victoires en échecs militaires, sur fond de nature généreuse et hospitalière, s’invite à notre table de lecture en ce millénaire si troublé et inquiétant.

Chaque étape de ce roman historique est précédée d’un titre évocateur et poétique. Le roman s’ouvre sur la mort de Massinissa veillé par Zilalsan, «dont le nom serait désormais associé à la paix et à la prospérité» après plus d’un demi-siècle de règne et s’achève sur l’arrivée de Jugurtha, en point d’orgue. Entre les deux, l’auteur évoque le courage et toutes les réalisations de cet Aguellid°, lui attribuant par là une dimension humaine et mythique.

Dès le premier chapitre avec «Les pierres de notre terre bâtissent le toit du ciel», la personnalité de Massinissa, Roi numide, s’impose. Eclairé par son père Gaïa, homme épris d’ordre et de justice, cerné de rivaux et mort en supplicié, il est prompt à réagir, aidé de ses lieutenants et de ses fantassins expérimentés. Chaque détail de cet homme fier et combatif est passé au crible. L’enfance du souverain révèle sa détermination précoce dans sa ville punique de Carthage. Très tôt, le prince «se rêvait roi» avec l’ambition de posséder Sophonisbe, la fille d’Hasdrubal Gisco, sa promise dotée d’une suprême beauté, «l’Afrique et le monde». Tout au long du roman et des épreuves du souverain, le portrait, proche parfois de l’éloge funèbre dans ce qu’il a de plus précieux à retenir, campe aussi la résistance de l’homme, notamment contre les attaques de son rival Syphax. Malgré les mauvais augures et un début de règne marqué par des calamités, le peuple restait fidèle à son Aguellid°, si soucieux de l’unité numide.

Le roman se poursuit avec cette lutte entre ces deux souverains Syphax et Massinissa et le futur règne glorieux de ce dernier sur la Numidie. Pourtant le destin exceptionnelde cet homme ne fut pas dépourvu d’embûches. Bien sûr, «le fils de Gaïa était appelé dès sa naissance à jouer les premiers rôles au sein du royaume massyle», comme tient à le souligner l’auteur. Mais c’était sans compter sur de multiples épreuves, dont celle d’être obligé de fuir son pays. Cette fuite suivie d’une reconquête du pouvoir atteste des qualités exceptionnelles de ce Roi.

Dans ce roman riche en rebondissements, la réalité historique fait la part belle à la fiction par l’intervention de personnages créés par l’auteur qui ajoutent des pistes supplémentaires dans les amitiés et les rivalités royales. L’exemple de la mère de Massinissa très présente et prophétesse du destin de son fils est marquant. Par ailleurs, cette liberté de romancier donne plus de chair, donc de proximité aux protagonistes qui gravitent autour du Roi. Il arrive parfois que les personnages racontent également une histoire pour se divertir. Et ces «échappées» salutaires, in situ, multiplient les surprises du roman. Par exemple, au hasard des déplacements des combattants massyles, l’auteur insiste sur la beauté et le potentiel agricole de la nature et la substitue à l’austérité des cartes des opérations militaires, comme si celle-ci reprenait ses droits immémoriaux sur les individus destructeurs.

Si certains personnages sont le fruit de l’imagination de l’auteur, d’autres, bien réels, comme le général et homme d’Etat romain, Scipion l’Africain, connu pour ses campagnes militaires victorieuses contre les Carthaginois et Hannibal Barca, s’imposent.

Au cours des batailles décrites avec une précision exemplaire, notamment dans le chapitre «Et le soleil se leva sur les grandes plaines», les légionnaires «hastati», comme les «triarii», unités militaires de la Rome antique déployées en formation flexible d’échiquier qui remplacèrent les phalanges, nous deviennent très familiers. La force de ce roman historique réside dans cet accès érudit qui pique notre curiosité et invite à la recherche et au questionnement.

A travers cette épopée réactualisée, l’auteur semble insister sur la légitimité recouvrée de Massinissa, tant sur le plan militaire que sur le plan de la gestion économique et de la cohésion sociale des Numides, avec une valorisation particulière de l’agriculture du pays.

Dans cet ouvrage, comme dans les précédents, Mohamed Abdallah opte pour une justesse du discours qui sert les exigences de l’Histoire. Son toucher perlé des phrases et des situations, sous sa plume, donne au roman une vraisemblance saisissante, avec la ville de Cirta admirablement décrite. Découvrir «Aux portes de Cirta» est une aventure en soi, avec l’émotion apportée par ce troubadour brillant de l’épopée algérienne. La part de fiction sert l’accès à la complexité de l’Histoire et des luttes fratricides fréquentes. Entrer dans cette histoire millénaire par le biais de l’épopée de l’Aguellid Massinissa et de Cirta, cette ville devenue son «rêve» et «un creuset cosmopolite», n’est pas se déconnecter de notre actualité. Au contraire, c’est l’éclairer de ce passé si mouvementé et, au demeurant, proche de deux mille ans, au temps d’une quête d’unité. A l’échelle de l’année galactique ou cosmique, qui se compte en centaines de millions d’années-lumière, ces notions temporelles demeurent très relatives. Plus qu’un retour aux sources, l’intérêt des ouvrages de cet auteur, féru d’Histoire, repose sur cet attachement à éclairer un passé par trop oublié, pour mieux comprendre notre présent.  Etant entendu que L’Homme tire rarement des leçons du passé et s’ingénie à reproduire les mêmes erreurs. 

En découvrant le destin de ces figures emblématiques de l’Algérie millénaire, dont le personnage central de Massinissa, et les sempiternelles batailles territoriales, sachons décrypter les repères historiques comme autant d’enseignement pour anticiper sur l’avenir.

Une fois encore, la littérature algérienne nous offre le plus émancipateur des voyages autour de notre chambre !

J. B.

°Aguellid : roi de Numidie

«Aux portes de Cirta» de Mohamed Abdallah, Casbah Editions (2019)

Mohamed Abdallah est né en 1997, il a publié « Entre l’Algérie et la France il n’y a qu’une seule page» et «Souvenez-vous de nos sœurs de la Soummam».