L'Algérie de plus près

Les grandes questions économiques et budgétaires Première partie Par M’hamed Abaci

Nous sommes à la veille d’une crise budgétaire forte, accentuant, aujourd’hui, la grande inquiétude sur l’avenir du pays car elle susceptible d’entraver le développement futur du pays. Le président de la République fraîchement élu le jeudi 12 décembre dernier doit en être parfaitement conscient.

A travers ce texte, je voudrais mettre en avant brièvement quelques éléments et données en guise d’éclairage sur l’évolution budgétaire et économique de l’Algérie qui sera axée  autour des contours du budget pour 2020, adopté le 14 novembre par l’APN, le 28 novembre par le Conseil de la nation et signé  le 11 décembre, lors d’un Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat, par intérim, Abdelkader Bensalah. 

On rappelle, à ce titre  qu’il nous faudra une croissance annuelle de 7% et plus par an pour surmonter la crise économique, et un baril de pétrole à 90 dollars pour pouvoir équilibrer le déficit budgétaire  et ouvrir des perspectives socio-économiques pour notre jeunesse. Or, aujourd’hui, ce prix est impossible à  approcher à moyen terme, notre pays ne pouvant désormais compter sur l’organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP) qui ne peut s’engager dans une guerre des prix en raison de l’évolution de la concurrence devenue très rude avec la révolution des hydrocarbures de schiste et les énergies renouvelables et, enfin, du fait qu’elle est faiblement intégrée dans l’économie mondiale et dans les espaces géostratégiques puisqu’elle ne contrôle qu’environ 30% du marché mondial pétro-gazier.

Les projections à ce niveau devront également prendre en considération d’autres éléments, entre autres, le démantèlement tarifaire qui interviendra l’année prochaine dans le sillage de l’accord d’association avec l’Union européenne (l’UE), en ce sens que cela supposera d’énormes pertes en droits de douanes pour le budget de l’Etat.

Avec une monnaie nationale en chute libre face au dollar et à l’euro, une baisse drastique des recettes en devises et une réduction importante des investissements publics, nous subissons les contrecoups sévères de la rente pétro-gazière, au moment où nos lois de finances n’innovent guère en matière d’ingénierie dans les choix budgétaires, l’introduction d’éléments marchands pour répondre aux besoins des investisseurs ou des agents économiques potentiels dans une optique de mondialisation, pour s’adapter aux bouleversements et s’intégrer dans les espaces géostratégiques. Aujourd’hui, c’est la fin de l’ère du «pétrole profitable» pour les algériens, ce qui mettra encore à rude épreuve la situation budgétaire du pays qui évolue encore avec la hausse des prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux. Ce qui est anormal dans une économie de marché comme c’est le cas de l’Algérie où il faut piloter le budget de l’État à un niveau économique élevé pour transformer notre économie de rente en une économie de production et de transformation.

Notre pays est structurellement importateur avec près de 75% de ses besoins. Près de 70% de la population vit de la rente et par voie de conséquence, ce taux élevé constitue un sérieux problème de société pour se remettre aux  valeurs du travail. En conséquence, l’hémorragie est amenée à se poursuivre, «d’où le recours encore au financement non conventionnel (l’usage de la planche à billets). Il nous semble toutefois qu’il n’y ait pas  assez d’éléments  pour écarter  le recours à l’endettement extérieur via le FMI».

Oui, aujourd’hui, nous sommes ni en transition ni en voie de développement car la gestion prévisionnelle des finances publiques en Algérie demeure bâtie sur l’économie de rente, rendant presque irréalisable toute possibilité de rentabilité  économique et financière.

« Maîtriser aujourd’hui la finance publique est une question cruciale car beaucoup pensent que les  finances  publiques, c’est la caisse exclusive des pouvoirs publics. Aujourd’hui, sans les subventions et les transferts sociaux, la pauvreté serait plus forte en Algérie qui pourrait atteindre, selon nos estimations, 40% de la population »

En effet, la crise des finances publiques en Algérie est une crise alimentée par la dépense publique via la rente pétro-gazière, aggravée par les crédits votés par lois de finances complémentaires  durant ces deux dernières décennies et une dette publique forte qui risque de représenter, selon nos estimations, 60% du PIB en 2020 bien que nous soyons en économie de marché. Nous avions cru trop vite dans la manne des pétrodollars pour nous rapprocher des pays développés. Et malgré la crise des finances publiques observée depuis la chute drastique des prix du baril de pétrole en 2014  sur les marchés mondiaux, nos gouvernants fléchissent sur la question pour sortir de la forte dépendance  des hydrocarbures et d’un modèle social rentier en vue  de développer un écosystème dans l’objectif d’accroître l’offre et la productivité du travail pour diminuer la dépense publique et augmenter la ressource publique par le jeu du marché des capitaux, l’exportation et la fiscalité ordinaire ou, encore, il faudrait constituer un montage financier dans lequel participent les bailleurs de fonds, les banques, les entreprises et autres dans la réalisation des investissements publics ayant le caractère commercial faits jusqu’ici sur la dépense publique.

Maîtriser aujourd’hui la finance publique est une question cruciale car beaucoup pensent que les  finances  publiques, c’est la caisse exclusive des pouvoirs publics. Aujourd’hui, sans les subventions et les transferts sociaux, la pauvreté serait plus forte en Algérie qui pourrait atteindre, selon nos estimations, 40% de la population. Quant aux salaires, ils sont trop bas socialement et trop élevés économiquement dans un pays qui dispose d’immenses richesses et qui est le plus vaste d’Afrique.

Pour rappel, les finances publiques couvrent le champ des administrations publiques : Etat, administrations publiques locales (collectivités territoriales et organismes divers d’administration locale), établissements publics (EPIC, EPA) et administrations de sécurité sociale (régimes obligatoires de base de sécurité sociale, régime d’assurance chômage, établissements de santé, éducation nationale, universités, régimes obligatoires de retraite complémentaire, les fonds concourant au financement de la sécurité sociale, etc.).

Il convient de rappeler la situation où le budget de l’Etat était financé par un prix moyen du baril exporté durant les années 2000. Ce prix s’est établi entre 90 et 150 dollars le baril en moyenne. Le prix d’équilibre de notre budget était d’environ 100 dollars le baril. À noter que le déficit  budgétaire  a été financé par les prélèvements sur le Fonds de régulation des recettes (FRR) alimenté par la fiscalité pétrolière lequel fond a été complètement siphonné en 2016.

Avec un tel niveau de prix, le déficit  budgétaire durant ces deux dernières décennies s’est creusé davantage pour représenter entre 9 et 25%  du PIB, ce qui est une dérive budgétaire dramatique, sachant que la norme est fixée à 3%. L’Etat dispose certes de la faculté de recourir à un déficit  budgétaire dans une conjoncture difficile, mais ce déficit doit être temporaire parce que ces déficits continuent de montrer des signes traduisant l’érosion du stock de l’épargne du trésor public (FRR), la dépréciation continue de la monnaie nationale et du rôle social de l’Etat sur le plan économique et fiscal. Les dépenses publiques totales représentent près de 50% du PIB -dont le budget de fonctionnement- et plus de 60% de la dépense publique. Les balances commerciales et  de paiements accusent des déficits quasi-chroniques depuis la chute des prix du baril de pétrole en 2014. C’est peut-être les déficits les plus difficiles à résorber.

Notre pays a procédé au remboursement de sa dette extérieur par anticipation. Cependant, on rappelle, à ce titre, que l’expérience de l’ex- Roumanie communiste avait une dette extérieure de zéro,  mais son économie était en ruine.

Ces déséquilibres budgétaires ne se résoudront, évidemment, que dans une transformation structurelle de l’économie et au prix d’une très grande réforme des politiques publiques pour établir une bonne assise sur laquelle on peut envisager un meilleur futur entre les comptes de l’Etat et la réalité économique et financière, notamment les ressources financières qui ne seront plus comme par le passé octroyées selon une fonction de caisse. C’est-à-dire, tout doit être définie et analysé sur la base de la comptabilité financière et l’économie. En passant justement d’un système budgétaire de caisse, qui a mené le trésor public à la cession de paiement en recourant, notamment, à la planche à billets, à un système de comptabilité patrimoniale dont l’appellation à celle de comptabilité financière ou comptabilité générale des sociétés, bâtie selon une présentation comptable conventionnelle dite «partie double» qui est un instrument fiable pour renforcer la transparence et le contrôle des finances publiques. Ce qui répondra à des normes comptables internationales très strictes s’inspirant des normes dites IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) afin d’être un  instrument-clé de confiance pour les investisseurs (IDE) et les partenariats 

Notons, par ailleurs, que  l’activité économique en Algérie n’est pas entièrement dirigée par les lois économiques du marché. Le seul investisseur et le principal pourvoyeur de fonds demeure l’Etat. Les budgets colossaux mis en œuvre ces deux dernières décennies ont évolué avec un baril de pétrole valant entre 90 et 150 dollars mais qui s’achèvent sur un constat amer : loin des réalités des marchés et des évolutions mondiales alors que la force d’un pays réside dans la manière dont il gère et contrôle ses moyens plus que du volume de ceux-ci.

« Ainsi, après 30 ans d’ouverture au libéralisme économique, l’économie algérienne est demeurée fortement subventionnée, étatiste et structurellement importatrice, orientée seulement vers la demande publique génératrice de «superprofits» pour les importateurs qui alimentent en grande partie le commerce informel et qui ne répercutent pas toujours sur les consommateurs les baisses de prix observées sur le marché international »

Cette approche vise plus à mettre de l’ordre dans la tenue des comptes publics qu’à procurer une information financière synthétique sur l’état des finances publiques. Il en résulte une volonté  politique de fonder la comptabilité sur des notions plus directement économiques. Parmi les points importants de cette nouvelle approche, il y a l’importance de la réforme des finances publiques et de la comptabilité de l’Etat qui devrait permettre de :

– Repenser la mission du trésor public  en Algérie. En effet, le Trésor doit devenir, en plus des banques, un intermédiaire financier public de plus en plus tourné vers le marché, il doit trouver ses marques qui lui permettent d’agir sur la liquidité globale de l’économie par la collecte des dépôts et son influence des marchés des titres à long terme. Le poids des émissions des titres de l’Etat sur les marchés financiers et monétaires seront la source de constitution de l’économie de marché de capitaux en Algérie.

-Responsabiliser de manière explicite le parlement et le gouvernement sur la nécessité de veiller à la préservation de l’équilibre des finances publiques. En effet, il y a lieu de consacrer le contrôle parlementaire sur l’action du gouvernement par le biais de l’évaluation des politiques publiques, ce que la réforme comptable pourrait largement soutenir. Un pays, qui maîtrise ses finances génère la richesse, le progrès, l’épargne et le profit maximum. Les pays développés construisent leurs réussites sur la qualité de leur management et de leur gouvernance publique.

-Réformer la comptabilité de l’Etat, c’est offrir au gouvernement et au parlement les éclairages nécessaires de pilotage des principaux agrégats financiers et économiques, leur évolution et, surtout, les risques susceptibles de mettre en cause l’équilibre des finances de l’Etat et la «soutenabilité»  budgétaire à long terme. En effet, la comptabilité publique en Algérie telle qu’elle est pratiquée actuellement est une comptabilité de caisse et ce, pour répondre à une logique de gestion de rente (l’Etat-providence) assurant juste les mouvements en moins et/ou en plus de la caisse dans une optique purement de trésorerie fondée sur l’encaissement et le paiement (recettes-dépenses).

Au niveau international, la notion de la comptabilité publique de trésorerie est devenue caduque depuis la diffusion des normes comptables destinées au secteur public dites (IPSAS).

Ainsi, après 30 ans d’ouverture au libéralisme économique, l’économie algérienne est demeurée fortement subventionnée, étatiste et structurellement importatrice, orientée seulement vers la demande publique génératrice de «superprofits» pour les importateurs qui alimentent en grande partie le commerce informel et qui ne répercutent pas toujours sur les consommateurs les baisses de prix observées sur le marché international. Cela alors que les deux chambres parlementaires (APN-Conseil de la nation) continuent à débattre et à adopter les budgets comme instrument exclusif  générateur de la consommation-importation et d’exécution de la dépense publique dans un cycle d’expansion monétaire accru. Conséquence : les dépenses du budget de l’Etat ont doublé entre 2008 et 2014 au moment où 90%, du financement de l’économie nationale provient des fonds de la rente via les banques publiques et le trésor public. Le système fiscal algérien, peu développé sur une vision économique car la fiscalité ordinaire rapportée au PIB ne représente que 21% , s’avère très peu rentable pour le budget de la nation, sachant que l’impôt sur le revenu global (IRG ) sur les salaires  et pensions de retraites représentent 26% des recettes fiscales contre près de 16% pour l’impôt sur les bénéfices des entreprises (IBS), qui demeure très faible puisque 80% sont récoltés auprès des entreprises étrangères installées en Algérie.

Selon l’ancien ministre des finances  Abderrahmane Benkhalfa, 99% des recettes fiscales de l’Etat proviennent de 12 wilayas  seulement ! Il va sans dire que l’Etat ne profite que peu du développement local (communes) et des entreprises, faute d’une véritable  politique budgétaire. C’est pour ces raisons que le secteur informel prend du poids jusqu’à devenir le principal secteur économique qui fonctionne selon ses propres règles dans la mesure où il contrôle actuellement 60% du marché de la consommation et près de 50% de la masse monétaire.

M. A

A suivre