L'Algérie de plus près

PRÉSIDENTIELLE DU 12 DÉCEMBRE 2019.Vers une nouvelle république ? Par Professeur Mohammed GUÉTRANI

Le voleur ordinaire est celui qui vous vole votre argent, votre portefeuille, votre vélo, votre parapluie…. Le voleur politique est celui qui vous vole vos rêves, votre avenir, votre savoir, votre salaire, votre éducation, votre santé, votre force, votre sourire…. La grande différence entre ces deux types de voleurs est que le voleur ordinaire vous choisit pour vous voler votre bien, tandis que le voleur politique c’est vous qui le choisissez pour qu’il vous vole. Le voleur ordinaire est traqué par la police, tandis que le voleur politique est le plus souvent protégé par toute une escorte de la police. (Voltaire).

Abdemadjid Tebboune est élu le 12 décembre 2019 au suffrage universel. Il est le 8ème président de la République Algérienne Démocratique et Populaire choisi à hauteur de 58,13% au premier tour. Ce résultat a été officiellement et solennellement déclaré par le ministre de la Communication, en l’occurrence M. Hassane Rabehi à partir de Batna. Ces élections augurent-elles d’heureux auspices pour une République nouvelle ? Une Algérie réellement nouvelle à la hauteur des aspirations du «Hirak» ? En tous cas, notre pays a, aujourd’hui, un «Ras» (tête) qui s’appelle «Raïs» qui arrive, enfin, à se tenir sur ses deux jambes et… marcher comme tout le monde… devant tout le monde !

Dès sa première conférence de presse, le nouveau locataire du palais d’El Mouradia, fraichement installé, a fait moult promesses à ses compatriotes, toutes aussi alléchantes l’une que l’autre. A commencer par l’édification d’un État de Droit où la Justice, droite dans ses bottes, devra rester inflexiblement au-dessus de TOUS, y compris le Chef de l’État en exercice qui sera, lui aussi, justiciable comme un simple lambda à même de rendre des comptes en cas d’infraction(s). Une Algérie qui n’appartiendra plus, désormais, aux seuls puissants mafieux mais à tous les Algériens. Une Algérie où il n’y aura plus d’Algériens d’en haut ni d’Algériens d’en bas ? Une Algérie où tous les Algé-Riens redeviennent des Algé-Rois chez eux ? Des Algériens qui auront aussi bien des DROITS à acquérir que des DEVOIRS à accomplir. Elle sera, alors, une Algérie où tous les Algériens trouveront une place, chacun selon ses compétences, au soleil de leur pays. Cependant, M. Tebboune trouvera-t-il les voies et moyens pour empêcher les jeunes de se donner en pâture aux poissons en traversant la «mère» qui est devenue la «MORT» Méditerranée ? La démocratie est une culture qui s’apprend avec le temps et la pratique.  

Tebboune et le «Hirak» populaire

M. Tebboune a qualifié le «Hirak» de béni. Bien sûr et… comment ?!? Il l’a hissé au sommet de la pyramide de l’État, pardi. Il ne peut que l’exalter pour l’avoir conduit à El Mouradia en fanfare. D’entrée de jeu, ses premières paroles furent de tendre ses deux mains à tous les Algériens qui ont choisi le mode du dialogue. Et oui, selon le proverbe : »De la discussion jaillit la lumière.»

Certes, le dialogue est, on ne peut plus, la voie royale pour se réunir, se parler avec respect et, donc, de s’écouter pour s’entendre et, particulièrement, se comprendre. Un dialogue, mené avec une pédagogie sociale, saura à même de mener le pays à bon port que tout un chacun espère y arriver sain et sauf avant que le bateau-Algérie ne coule. Il doit être un dialogue mené dans un esprit d’égalité, de justice où le respect et la sincérité doivent être les maîtres-mots. C’est-à-dire un dialogue rassembleur où tous les Algériens se retrouvent, abstraction faite des ethnies et/ou des langues (Arabe, Kabyle, Chaoui, Targui…). Pour ce faire, il a promis de profondes, de très profondes réformes à commencer, d’abord, par revisiter la Constitution qui servira de feuille de route pour la nouvelle politique de la nouvelle Algérie tant rêvée qu’entamera le nouveau Président.

«Je m’adresse directement au Hirak, que j’ai à maintes reprises qualifié de béni, pour lui tendre la main afin d’amorcer un dialogue sérieux au service de l’Algérie et seulement l’Algérie», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse tenue juste après l’annonce des résultats de la présidentielle.

«Le Hirak, qui a permis l’émergence de plusieurs mécanismes», à l’instar de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), va remettre l’Algérie sur les rails de la légitimité, la préservant, ainsi, de l’aventurisme et des manœuvres qui ont failli torpiller le peuple algérien», promettant d’œuvrer à «rendre justice à toutes les victimes de la «Issaba» (bande de  criminels).

«Il est temps de concrétiser les engagements pris lors de la campagne électorale, sans aucune exclusion ou marginalisation, ni intention de vengeance», a-t-il soutenu, soulignant qu’il œuvrerait avec «toutes les parties pour tourner la page du passé et aller vers une Nouvelle République avec un nouvel esprit et une nouvelle approche». [Amine].

Les négociations seront-elles fondées sur des bases sérieuses ?

«Tourner la page du passé» (sic) est une phrase qui prête à ambiguïté. Elle exige des éclaircissements. «Tourner la page du passé» (sic) ne doit aucunement signifier faire table rase en accordant la grâce présidentielle aux criminels qui ont mené le pays dans l’actuel tunnel des plus sombres. Les négociations promises iront-elles jusqu’au bout et… sans tabou ? Tous les dossiers seront-ils traités, sans exclusion, de tous les autres «issabistes» ? L’élite nationale refera-t-elle surface pour participer au développement national et au redressement du pays ? Le staff politique sera-t-il composé de technocrates ? Tous les Algériens savent que ce sont toujours les médiocres qui ont régi la politique. Voilà qui a poussé les Algériens à sortir manifester en masse. Depuis l’Indépendance, jamais l’Algérie n’a connu des manifestations d’une telle ampleur ni dans le temps (chaque mardi et vendredi) depuis dix mois ni dans l’espace (dans toutes les localités du pays). Ça se chiffrait en millions de personnes. C’est une Révolution populaire. Ce qui dénote la ferme la détermination du peuple algérien et, particulièrement, celle de la jeunesse inquiète (et… elle a raison de l’être) pour son avenir et celui de sa progéniture d’aller jusqu’au bout. Le «Hirak» béni du 22 février 2019 rappelle la Révolution du 1er Novembre 1954. Ce dernier a sonné le glas à 132 années de colonisation française. Celui du 22 février, à celle des «Issabate» qui se sont succédé au pouvoir depuis 1962. Le plus étonnant dans tout cela est l’application du mot d’ordre résolument martial : «Silmya, silmya» en dépit de l’usage, parfois, de violence de la part des services d’ordre comme ce fut le cas à Oran. Alors qu’ailleurs, Iran, Irak, Liban, Chili, Hong Kong, France…) il y a eu morts et blessés. Ceci montre le degré de conscience très élevé chez nos jeunes. Les «Hirakistes» n’ont l’intention de lâcher prise jusqu’à extermination totale et définitive des derniers «HARKIstes» qui nous gouvernés durant vingt interminables années, soit une génération entière. Ils sont jetés en prisons comme de vulgaires voyous criminels et… ils le sont. Voilà ce qui arrive à tous ceux qui ne savent pas quitter la table (du pouvoir) au moment voulu. Ils ont fait à leurs compatriotes ce qu’a fait le colonialisme aux Indigènes. Les flagorneurs de Bouteflika, qui le prenaient pour le grand moudjahid, à la limite de «Rab Edzaïr», considéré comme une ligne rouge à ne pas franchir, sont-ils convaincus, enfin, qu’il n’est rien d’autre qu’un grand imposteur, un grand destructeur de son pays, un traître à sa nation, un hypocrite, avec sa «Issaba», envers son peuple, sournois envers sa République. Où se trouve son djihad sinon à vider les caisses de l’État des devises fortes pour renflouer ses propres comptes à l’étranger (Suisse, France…) et… «qu’ANSEJ ?»

Le nouveau Président doit se tenir à l’écart de cette caste d’adulateurs sans foi ni loi ni droit parce qu’il est sous les feux de la rampe du «Hirak.»  

Les béquilles du pouvoir déchu ont lâché la rampe

Le pouvoir du pharaon déchu reposait sur ses béquilles qui sont, principalement, le FLN et le RND. La gifle qu’a reçue ce dernier, lors de la dernière présidentielle, était magistrale. Un refus catégorique de tous les électeurs de ce parti avili et méprisé parce qu’il a empesté la vie politique des Algériens avec son secrétaire Ouyahia. Un Pablo Escobar politique. Le «Hirak», qui n’a rien perdu de sa mobilisation, s’en est chargé. Ce qui explique clairement les distances du nouveau Président avec ces deux partis afin de donner des gages d’ouverture politique au peuple au moyen d’un complément de légitimité populaire que les élections ne l’ont pas pourvu. Son discours est, donc, interprété comme un signe patent de rupture avec l’ancien système pour baisser, au mieux apaiser la tension populaire afin qu’il puisse travailler dans un climat serein car le défi est grand et n’est pas de tout repos.

L’Algérie vit, encore, au rythme du «Hirak»

Le «Hirak» est une insurrection populaire pacifique. Il est et restera l’unique contre-pouvoir à même de suppléer les partis dits «d’opposition.» Ceux-ci ont prouvé leur incapacité face au pouvoir parce que faibles et frileux. Ils ont, aussi, prêté allégeance au président déchu. Ils ne sont plus, aujourd’hui, que l’ombre d’eux-mêmes, voire des épouvantails qui n’épouvantent rien ni personne.  

La question qui se pose est que le «Hirak» a toujours rejeté de la dictature militaire et s’est soulevé pour une République «madania», c’est-à-dire civile. Depuis le Coup d’État de 1965, les chefs d’État, qui se sont succédé ont toujours été militaires en essayant d’afficher un caractère civil de façade. Or, Abdelmadjid Tebboune est un énarque, autrement dit, un civil. Les militaires restitueront-ils tous les pouvoirs à ce civil pour rejoindre définitivement leur caserne ? Si tel est le cas, la légitimité politique, en Algérie se mettra au diapason avec les normes universelles de gestion où le ministre de la Défense Nationale serait un civil et non plus militaire à l’instar des pays démocratiques. C’est, alors, que la gouvernance de l’Algérie sera mise en orbite d’une démocratie réelle et non virtuelle.

A quelque chose [parfois] malheur est bon. Pendant que nous y sommes, pourquoi le «Hirak» ne serait-il pas à l’origine de la création d’une Autorité Nationale Indépendante de la Bonne Gouvernance (ANIBG) à l’instar de l’ANIE composée d’experts civils compétents et intègres ? Il suffit de les doter de pouvoirs exceptionnels dans le but de contrôler toutes les dépenses publiques du Président d’APC au Président de la République, du Chef de Daïra au Chef du Gouvernement en passant par le Wali et tous les responsables à quel niveau que ce soit. Cette Autorité aura pour mission de réduire le train de vie exagéré de l’État à même de lutter contre le gaspillage sordide et, du coup, renflouer les caisses de l’État après avoir été vidées par des dirigeants délinquants et crapuleux. Autrement dit, «dépenser utile.» Politique de numérisation aidant, ils sauront, alors, tous les tenants et les aboutissants du moindre sou de l’argent public en circulation.

Telle est l’Algérie que souhaiteraient voir les Algériens, tous les Algériens. M. Tebboune sera-t-il à la hauteur des espérances de ses électeurs pour répondre aux aspirations de ses compatriotes qui lui ont fait une totale confiance pour l’avoir élu ? Le proche avenir nous le dira.

Que Dieu lui vient en aide. «Quiconque craint Allah cependant, Il lui facilite les choses.» (Coran : 65/4)

M. G. *Docteur ès Lettres