Pourquoi a-t-on peur d’écrire ?
Par Rachid Ezziane
Ils écrivent sur tout. Sur l’Histoire et la géographie. Sur les voyages et les récits de leur vie. Ils écrivent leurs mémoires et leurs témoignages sur ce qu’ils ont vu. Dans tous les domaines. Politique ou sportif. Social ou psychologique. Sur les arts et la culture. La guerre et la paix. Sur la nature et le climat. Sur les animaux et les insectes. Sur les mers et les déserts. Ils écrivent sur leurs victoires et leurs défaites. Il n’y a pas un seul sujet ni aucun seul personnage, public ou d’histoire, roi, prince, président ou reine, star ou champion, poète ou homme de science sur qui ils n’ont pas écrit un ou plusieurs ouvrages. Même les grands chefs cuisiniers ont leur ouvrage où ils parlent de leur réussite dans l’art culinaire. Bien-sûr, cela en plus de la littérature du roman et de la nouvelle. Pas que ça d’ailleurs. Tout écrit est inventorié, enregistré et classé avec un exemplaire bien gardé. Aux États-Unis, comme en France ou en Angleterre. Chaque pays dispose d’une bibliothèque nationale pour cela. Depuis l’invention de l’imprimerie, et même depuis l’époque des scribes, ils n’ont pas arrêté d’écrire sur tout qui bouge, vivant ou mort. Même les petites histoires de villages, qu’elles datent de l’antiquité ou le Moyen-âge ne sont pas oubliées. Pour ratisser large, c’est-à-dire pour inciter ceux qui n’ont pas la main à raconter leurs histoires, ils ont inventé un métier pour ça. Nègre professionnel. Et ils sont légion, avec pignon sur rue, ces artisans du verbe un peu partout en Europe et Amérique offrant leurs plumes à qui veut prendre d’eux conseil ou assistance.
Pour avoir une idée bien nette, voici quelques chiffres. Attention au vertige !
Dans le pays de Molière, à quelques centaines de kilomètres de chez nous, à vol d’oiseau, on y publie chaque année quelque 68000 (soixante-huit mille) titres toutes catégories confondues. Ce n’est pas tout. On y vend dans le même pays plus de 340 millions (je dis bien trois-cent-quarante millions) de livres dont 14 millions en livres numériques. Le montant de ces ventes annuelles s’élève à quatre milliards d’euros partagés entre les 4450 éditeurs et les milliers d’auteurs. A titre d’exemple, les éditions L’Harmattan, à elles seules, publient chaque année quelques 2550 titres. Les 200 maisons d’éditions Algériennes publient moins du tiers de ce que publie une seule maison d’édition française. Il n’y a rien à comparer…
Chez nous, le domaine reste vierge comme une terre en jachère ou inculte. On a peur d’écrire sur soi. Sur sa vie et celle des autres. On craint le mystérieux comme le vulgarisé. On a peur de dire la vérité. Car écrire, c’est dire la vérité. Combien d’hommes (illustres) sont partis sans rien dire. Combien de politiciens, de sportifs et d’hommes (et de femmes) publics n’ont rien laissé pour leur postérité et leur pays. Ils avaient pourtant tant de choses à dire. Surtout dans une société qui a soif de « connaitre ». Nous guettons le moindre murmure qui nous vient d’eux. De l’autre côté de la mer. Et on le prend pour argent comptant.
Je n’arrête pas de prendre contact avec des personnes publiques pour leur suggérer d’écrire leur mémoire, leur biographie ou le récit de quelque événement important qu’elles aient vécu. Je ne reçois presque jamais de réponse. On pense directement, peut-être, à l’arnaque, ou au « soutirage » d’argent. On fuit l’écriture comme une maladie contagieuse. On croit qu’écrire est un domaine uniquement réservé aux écrivains avec le talent de Victor Hugo ou Balzac. On a peur aussi du qu’en-dira-t-on. Beaucoup de la critique négative. D’ailleurs elle (la critique) commence par les plus proches, amis entre-autre. Ecrire, c’est, avant tout, vouloir exprimer ou dire quelque chose. Certes, la langue doit être correcte, mais on peut y remédier par la correction et la relecture approfondie. On peut aussi solliciter l’aide d’une personne qui s’y connait en grammaire et vocabulaire. A défaut, emprunter une plume, mais ne gardez pas rien que pour vous ce qui appartient à la communauté, au pays et à l’Histoire. Car vos connaissances et vos exploits peuvent enrichir les autres et ainsi vous contribuerez à l’épanouissement de quelques génies en puissance. Ecrivez, n’en déplaise à vos détracteurs, d’ici ou d’ailleurs. Ecrivez et vous ne ressentirez que du bien dans votre peau et votre tête.
Nous avons perdu assez de temps et le manque à récupérer semble considérable. Mais il n’est jamais trop tard si l’on commence dès maintenant à fouiller nos méninges et les faire coucher sur des feuilles blanches qui se noirciront d’êtres et de bien-être. Et puis, écrire est un acte de liberté ! Qu’attendez-vous donc pour écrire avant que l’intelligence artificielle et les robots humanoïdes ne viennent à accaparer notre dernière vraie subsistance humaine !…
R. E.