Le rôle des femmes dans la promotion de la transition démocratique en Algérie
Par Docteur Akila Dbichi*
Dans son livre «l’histoire de la sexualité», écrit en 1976, le penseur Michel Foucault souligne que l’apparition de résistances et de pouvoir au sein d’un réseau complexe signifie que ni la résistance ni le pouvoir ne convergent dans une seule direction, mais qu’ils se déplacent au sein d’un réseau complexe, contradictoire et paradoxal, et qu’ils se chevauchent dans le même temps.
Partout où le pouvoir existe, il y a une résistance. Cette résistance ne se situe jamais dans une position externe par rapport au pouvoir. Devrions-nous dire donc que nous sommes nécessairement sous pouvoir et que nous n’y échappons pas et qu’il n’y a aucune position extérieure absolue dans la relation avec le pouvoir ?».
À ce stade délicat de la vie de tous les Algériens, la société, avec toutes ses composantes, interagit de manière civilisée et démocratique pour jeter les bases de la construction de l’avenir algérien d’une manière qui corresponde à l’histoire et aux sacrifices de notre peuple. C’est à ce moment que l’attention se porte sur les femmes algériennes et sur le rôle qu’elles vont jouer dans la promotion de la transition démocratique et de la paix civile. Ce rôle et cette mission ne sont pas étrangers aux femmes algériennes.
Il n’est pas exagéré ni verser dans le féminisme de dire que les femmes ont été au cœur de la transformation de l’Algérie., On peut même ajouter qu’elles étaient l’épine dorsale de ces transformations, avec leur participation ou leur implication inévitable dans le processus des évènements. La résistance des femmes symbolise l’État algérien, elle était d’emblée une cible stratégique des courants djihadistes qui ont émergé à la suite de la suspension du processus électoral en 1992. Après que le discours dominant sur l’obligation du port du voile par les femmes dans les années 1980 soit passé des mosquées vers les rues, les femmes qui ne portent pas l’uniforme imposée sont devenues la cible d’attaques terroristes telles les enseignantes de français ou les étudiantes qui ont décidé de poursuivre leurs études lors de cette période dramatique.
Sur le plan politique, nous pouvons citer un certain nombre de forces féminines qui ont joué un rôle direct dans cette période critique de l’histoire de l’Algérie. Parmi elles, les manifestations de femmes de la gauche algérienne avec le slogan «Une Algérie libre et démocratique» ont constitué un défi majeur pour le slogan «islamiste» correspondant qui a envahi les rues des plus grandes villes algériennes, à savoir : «Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah, Mohammed est le messager d’Allah, pour cela, nous devons vivre, mourir, et rencontrer Allah». Ces mouvements féministes agissant sur le terrain constituaient, à cette époque, un grand soutien pour l’institution militaire qui a renforcé la République face à la possibilité de l’émergence d’un régime islamique en Algérie.
Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie a connu de profondes transformations sociales et économiques qui ont eu une incidence sur le statut de la femme dans la famille et la société. En conséquence, la législation s’est améliorée de manière constante pour les femmes dans tous les domaines, en particulier dans la sphère de la vie publique. Toutes les lois affirment que tous les citoyens ont un accès égal aux fonctions et emplois de l’Etat sans conditions et que les femmes algériennes se sont vu accorder le droit de voter et de se présenter aux élections depuis l’indépendance.
La participation politique des femmes algériennes a également été influencée par des engagements internationaux. L’Algérie a ratifié toutes les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’Homme en général et aux droits des femmes en particulier. En dépit de ces obligations légales et constitutionnelles qui garantissaient aux femmes algériennes leurs droits, elles n’étaient pas présentes dans les neuf premiers gouvernements algériens. Ce n’est qu’en 1984 qu’une femme est nommée à un poste ministériel, soit 22 ans après l’indépendance et ce, bien la constitution algérienne lui reconnaisse ce droit de le faire. Dans les structures exécutives locales, les femmes n’ont pas une présence significative. Ainsi, ce n’est qu’en 1999 qu’une femme a été nommée au poste de wali, suivie de la nomination d’une déléguée de wilaya et de onze chefs de daïra.
Depuis, l’État algérien a enregistré un exploit historique dans le domaine de l’égalité et a été classé au 25ème rang mondial pour la représentation des femmes au parlement. Les élections législatives de 2012 ont abouti à une augmentation significative du pourcentage de femmes participant au parlement algérien, soit 31,38%, de sa composante (145 sièges sur 462). Cela a été possible grâce aux réformes politiques imposant un taux de participation de 30 à 50% de femmes dans les conseils élus.
Le pourcentage de femmes algériennes au parlement a pu dépasser la représentation des femmes dans les parlements des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ce pourcentage est de 13,6% en Russie, 16,8% aux États-Unis, 18,9% en France, 21,3% en Chine et 22,3% en Grande-Bretagne.
Les acquis des femmes algériennes ne peuvent être considérés comme un cadeau de quiconque, mais au contraire bien mérités car les femmes algériennes continuent à être les partenaires des hommes dans la promotion du développement social, économique et culturel grâce, notamment, à sa présence sur les différents lieux de travail, de production, de créativité, de services et de cercles de décision. Cette place, elle la doit aussi à sa participation à la résistance à l’occupation coloniale. Elle était la chef de la résistance populaire et avait pour nom de Lalla Fatima Nsoumer, Lalla Khadija, Hassiba Benbouali, Ourida Medad, Fadila Saadane, Jamila Bouhired et Zahra Drif pour ne citer que ces dernières résistantes.
Aujourd’hui, les femmes algériennes sont présentes dans tous les secteurs de l’État. Elles sont représentées à raison de 62% dans le secteur de l’éducation, 65% du secteur de la santé et 41,41% dans le système judiciaire.
« Selon une étude réalisée par une équipe de chercheurs du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle, les femmes algériennes font face aux différents changements qui se produisent dans la société et à différents niveaux économiques, sociaux et familiaux »
Abdelilah Belekziz a dit : «Les femmes sont les dernières colonies d’hommes et l’histoire de la femme dans la société des hommes est submergée par la réalité de la souffrance. Le problème des femmes n’a pas été avec les États qui font obstacle à leurs droits, mais – et jusqu’à ce jour- avec une société masculine patriarcale qui ne partage pas le droit à l’égalité et à la citoyenneté à part entière, au nom de la religion ou au nom de la loi, au nom de la coutume, ou au nom de la loi. Il ne s’agit pas uniquement des courants conservateurs de cette société, mais même de ceux qui ont été touchés par les vents de la modernité. Ils avalent cette modernité si le sujet se rapporte aux droits de la femme. Et souvent, ces droits ne sont qu’un slogan purement politique que les courants «modernistes» opposent à leurs adversaires conservateurs et qu’ils oublient quand ils arrivent au pouvoir. Et face à tout cela, les femmes résistent courageusement pour arracher leurs butins».
Selon une étude réalisée par une équipe de chercheurs du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle, les femmes algériennes font face aux différents changements qui se produisent dans la société et à différents niveaux économiques, sociaux et familiaux. Mais les femmes algériennes rencontrent une foule de problèmes et, selon la même étude, de nombreuses difficultés affectent leurs vies et leur causent un sentiment d’anxiété. Les plus importantes de ces difficultés peuvent être identifiées dans l’environnement professionnel, telles que les transports, le harcèlement, l’inégalité de rémunération et de promotion, le manque d’écoles maternelles. Outre les problèmes liés à l’environnement familial, de nombreuses femmes sont soumises à diverses formes de violence conjugale.
Malgré la ratification par le Parlement algérien en mars 2015 de la loi sur la protection des femmes contre la violence et le harcèlement, les niveaux de violence sexiste en Algérie sont alarmants et portent atteinte à leur droit à l’égalité, à la dignité et à l’estime de soi. Selon le rapport de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, la violence à l’égard des femmes en Algérie continue de susciter l’urgence pour la société civile de lutter contre ce phénomène. Malgré les dispositions légales (amendement du Code pénal) visant à protéger les femmes de la violence et du harcèlement et à lutter contre la violence conjugale, la situation n’a pas beaucoup évolué dans ce domaine. Selon la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), au cours des neuf premiers mois de 2018, 7 061 femmes ont été victimes de diverses agressions.
La violence à l’égard des femmes est à 90% provoquée par des hommes. Les études à ce sujet (450 affaires précédemment menées par des organisations de défense des droits humains) confirment qu’un tiers des femmes abusées sont mariées, 10% sont divorcées et 25% sont célibataires.
Malgré les nombreux succès remportés par les femmes algériennes dans divers domaines et malgré le fait que l’égalité des sexes est inscrite dans la Constitution et dans toutes les lois, notamment l’égalité du droit de voter, de se porter candidat et d’assumer une fonction politique, il est à signaler que le problème des femmes algériennes perdure. Ce problème ne réside pas dans les lois et les discours politiques, mais plutôt dans les coutumes et les traditions héritées du passé.
Aussi, le gouvernement est-il appelé à prendre des mesures de nature à renforcer la présence des femmes aux postes de décision, aussi bien au niveau des structures de base que des hautes sphères de l’État. Pour ce faire, il devrait agir sur nombre de registres afin de concrétiser l’égalité des chances entre hommes et femmes, tout en veillant à réprimer par la loi toute violation et tout abus de nature sexiste. Il lui faut également adopter des politiques permettant de changer l’attitude de la société à l’égard des femmes. A commencer par la soumission des médias et des partis politiques à une série de règles déontologiques en vue de l’adoption d’une stratégie de construction et de changement social fondée sur toutes les énergies de la société, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes, de jeunes ou d’adultes.
A. D.
*Enseignante à l’Université Paris 8