L'Algérie de plus près

Bouchra Mokhtari, artiste auteure de BD

Bouchra Mokhtari, artiste auteure de BD :

«La distribution du livre pose problème en Algérie»

A 25 ans, elle est déjà auteure de trois albums de BD et de plusieurs dessins et tableaux de peinture. Bouchra Mokhtari, c’est son nom, était présente au SILA pour des séances de dédicace de ses albums consacrés aux aventures de «Zozo», une petite fille espiègle, «qui fait plein de bêtises ais qui arrive à se rattraper à chaque fois». Ce personnage très attachant s’exprime en arabe dialectal et en français, ce qui le rend d’autant plus sympathique chez les jeunes lecteurs. Et parfois les grands. Melle Mokhtari s’est prêtée avec plaisir au jeu des questions-réponses. Ecoutons-là.   

Le Chélif : Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bouchra Mokhtari : Je m’appelle Bouchra Mokhtari, j’ai 25 ans, je viens de terminer mes études en biotechnologie. J’ai obtenu mon master et je compte bien sûr travailler dans ma spécialité. Parallèlement, je suis artiste-peintre et illustratrice d’une bande dessinée avec un personnage de ma création. Cette BD s’intitule  «Les aventures  de Zozo». J’ai publié trois albums chez la maison d’édition «Dalimen» d’Alger qui m’a ouvert grandes ses portes car ses responsables ont estimé que cette BD est original et bien faite surtout. J’ai obtenu le prix «Coup de cœur» en 2012 et le prix du meilleur album de jeunesse au festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA) en 2016 avec mon second album des aventures de Zozo. Cette année, je participe au SILA avec un nouvel album en dialecte algérien. En effet, beaucoup de gens m’ont dit pourquoi ne pas faire un livre de BD en langue dialectale. J’ai tenté l’expérience et voilà mon œuvre ici exposée.

Depuis quand vous intéressez-vous à la BD ?

Comme je le dis souvent, j’ai commencé à dessiner en étant toute petite, je suis autodidacte, je me suis entrainée toute seule en m’inspirant des illustrations et dessins que je trouve dans les livre, les revues et les albums de BD. J’essayais de reproduire les dessins au détail près et je m’améliorais de jour en jour jusqu’à ce que je me mette à créer mes propres personnages. Sinon, pour ce qui est de la bande dessinée, j’ai commencé vraiment à y consacrer mon temps au début des années 2010. J’ai participé alors avec un premier album en 2012 au concours de jeunes talents qui a été organisé par les organisateurs du FIBDA où j’ai obtenu un prix pour ma BD «Zozo». J’ai présenté quatre planches. La responsable de la maison d’édition «Dalimen» s’est intéressée à mon travail et à mon personnage et s’est proposé d’éditer mon livre. C’est à ce moment que j’ai commencé vraiment à m’intéresser à la BD.

Pourquoi «Zozo» ?

Je ne sais pas comment s’est venu. «Zozo», je l’ai appelée comme ça. Il y a une activité ludique qui consiste à placer des mots en désordre et d’inventer des noms de manière très arbitraire, l’essentiel est que ça sonne bien à l’oreille. Zozo est un nom fluide, facile à retenir et à prononcer, c’est un petit nom beaucoup plus sympathique qu’un nom propre. Pourquoi j’ai choisi une petite fille, parce que tout message peut passer avec un enfant sans tabou. Donc, je peux traiter de certains sujets de société avec le regard et la naïveté d’un enfant. Ce ne sont pas des sujets complexes qui font appel à la réflexion, mais juste des situations dans lesquelles chacun de nous peut se retrouver. Je raconte en fait le quotidien de la petite Zozo à l’école, dans la rue ou ce qu’il lui arrive en prenant le bus… En somme, c’est le quotidien d’une petite fille dans la société qui est la nôtre.

Avez-vous des projets de BD avec d’autres personnages ?

Actuellement, je suis en train de travailler avec mon personnage Zozo, il y aura une continuité dans son histoire avec la publication d’autres albums. Cela, parce que depuis mon premier livre, ce personnage s’est fait connaître et ça marche assez bien. Ça m’encourage à continuer cette aventure. Je compte développer en parallèle mes autres activités, la peinture notamment. Je prévois des tableaux sur la femme algérienne en m’inspirant un peu de mon quotidien qui, soit dit en passant, n’a rien à voir avec le personnage de Zozo. C’est carrément un monde différent, celui de la femme adulte. C’est encore en projet et j’essaie de le développer davantage.

Comment les gens voient votre personnage ?

Ce sont toujours des réactions positives, beaucoup de gens ont dit admirer mon travail, ces gens adorent le personnage parce qu’il a quand même du caractère et par moment sympathique. Ils adorent parce que c’est aussi une BD algérienne mais, malheureusement, il se pose toujours le problème du rapport des gens à la lecture en Algérie comme d’ailleurs dans de nombreux autres pays. Je ne sais pas si cela à un rapport avec le prix de l’album de BD, parce que beaucoup de personnes qui viennent au stand, qui sont intéressées mais qui n’osent pas acheter. Je pense que le rôle des parents doit être déterminant dans le choix des lectures des parents en même temps que d’inciter et encourager leurs enfants à lire. Il y a beaucoup d’enfants qui viennent me voir, qui sont intéressés par ma BD, qui veulent vraiment acheter le livre mais les parents ne s’engagent pas. Pourtant, l’enfant peut disposer d’un livre en arabe dialectal pour s’amuser, d’un autre en français pour apprendre la langue et le prix n’est pas excessif contrairement à ce que l’on croit. Et puis, ce sont des livres qu’on garde toute une vie et les albums de BD algériens, il n’y en a pas des masses.

Il faut que les parents achètent des livres pour leurs enfants et pas seulement des albums de BD.  

Comptez-vous faire carrière dans la BD et la peinture ou est-ce que vous allez entreprendre des démarches pour exercer le métier dans lequel vous vous êtes formée ?

Il faut dire que j’ai commencé à effectuer des travaux pour le compte de l’Ambassade de France au Maroc, je travaille également en Algérie dans la préparation de certains événements culturels. Pour le moment, je suis encore jeune et j’arrive à gérer ma vie. Mais il faut quand même penser à l’avenir, il faut chercher du travail car, sincèrement, la bande dessinée ne paie pas. Il ne faut pas le nier, ce qu’on gagne, ça ne fait pas vivre…

Quel est le rêve ou le projet qui vous tient le plus à cœur ?

C’est de réaliser un dessin animé avec mon personnage Zozo. C’est un projet sur lequel je passe beaucoup de temps. Je ne pense pas pouvoir le réaliser en Algérie, parce que nous n’avons pas d’écoles pour apprendre les techniques du dessin animé, il n’existe pas non plus de boite de production spécialisé dans ce créneau.

Et pour ce qui est de l’édition d’ouvrages de bande dessinée ?

Je ne plains pas de l’édition mais de la faiblesse des réseaux de distribution des livres. Il y a des librairies qui ne s’engagent pas, qui ne veulent prendre aucun risque. Pour la plupart, ces librairies optent pour le système de dépôt qui consiste à leur confier une certaine quantité d’ouvrages qu’elles exposent dans leurs rayonnages sans pour autant essayer de convaincre les clients de les lire. De plus, ce ne sont pas les libraires qui s’informent des nouveautés, c’est la maison d’édition qui doit s’occuper de la promotion, des séances de vente-dédicace, bref, de tout ce qu’il faut faire pour écouler le livre. Beaucoup de gens me contactent à travers les réseaux et me demandent où peuvent-ils trouver mes albums. Il y a des gens de Béchar et d’ailleurs qui disent ne pas les trouver en librairie. De là, j’ai conclu que la distribution des livres pose problème en Algérie, ce que mon éditrice m’a d’ailleurs très bien expliqué. Je veux bien leur envoyer mon livre par courrier postal mais ça va me revenir hyper cher. Sincèrement, ça me dépasse mais je fais de mon mieux pour orienter les lecteurs intéressés en leur indiquant les librairies qui vendent mes ouvrages.

Propos recueillis par Ali Laïb