Hier encore, j’avais vingt ans
Par Rachid Ezziane
Comme une flèche ont passé les ans. Et, comme dans un tourbillon, ma tête a tourné à tous les vents. Le dos s’est voûté et le pas n’est plus sûr comme avant. Hier… et dire que pas plus tard qu’hier, nous avions vingt ans. Mais le temps, cette chose insaisissable, qu’aucun être n’a pu apprivoiser ni dompter, s’est joué de moi et a déjoué mes rêves. Quand j’étais enfant, je ne faisais que «gaspiller du temps en croyant l’arrêter», comme disait Charles Aznavour dans sa chanson. Et même que je croyais pouvoir retenir le temps en jouant. Heureux d’être heureux, avec en plus l’insouciance et la course à tout bout de champ, je ne savais pas que les jours filaient aussi vite qu’ils venaient. Je passais mes jours à flâner. A chercher à savoir. A cumuler ami après ami. Aussi à rire de tout ce qui me paraissait vieux. Ou qui n’avait pas la verve de la jeunesse. Ou qui clamait conseils et sagesse. Mais tout ce qui semblait «sans fin» prit fin un jour. Les voisins changèrent de maison. Le rire de mes camarades de classe s’évanouit dans la brume de la ville. Les amis d’enfance sont devenus des adultes et ont eu chacun sa vie. Mes enseignants, à la retraite, je ne les vois plus dans les rues. Je ne reconnais plus les visages que je croise. Ma verve d’antan a pris un coup de frein et la nonchalance m’a habité sans que je n’en prenne conscience. Et vous, jeunes d’aujourd’hui, ne croyez pas que vos vingt ans son acquis à jamais. Demain, feignant être loin, vous mènera du bout du nez vers la vieillesse comme si de rien n’était. Et puis commencent à tomber les feuilles. Les unes après les autres. Un voisin. Un ami. Un frère. Une sœur. Et l’on saura qu’ils avaient tous eu un jour vingt ans…
Quand on a vingt ans, on ne s’arrête que rarement aux souvenirs. C’est le présent, les amis et les divertissements qui égayent nos esprits. Puis un jour, on n’a plus vingt ans. La trentaine nous fait penser, déjà, à la quarantaine. Le temps fuit. La jeunesse s’émousse. Les enfants grandissent. Les cheveux grisonnent. La mémoire flanche et le verbe se dérobe. On écoute deux, trois fois, avant de répondre.
Les souvenirs s’entassent. Deviennent nostalgie. Penser au passé nous fait frémir. On regrette de ne pas avoir profité de tout. Ou d’avoir choisi telle décision. Ou tel comportement avec tel ami. Le futur nous fait peur. On fait semblant de ne pas y penser. Et on reste attaché au passé. On s’isole de temps à autre. On prend l’habitude de rester chez soi. Adieu la jeunesse. Bonjour la vieillesse… hier encore…
Voilà, c’est l’histoire d’avoir vingt ans. Qui ne dure qu’un laps de temps. Mais en vérité, c’est l’histoire du temps. C’est lui le maître incontesté de tous les maîtres du monde. Rien ne lui subsiste. Rien ne l’altère. Rien ne l’égale. Hommes et choses. Va, avec le temps tout s’en va, dit l’autre chanteur, Léo.
Que dire de plus. Je sais qu’avec le destin et le temps, il n’y a rien à dire. Puisque tout est dit, terminons alors, par les paroles écrites, la chanson de Charles Aznavour, qui nous dit ce que tout un chacun ressent dès qu’il a franchi le seuil des vingt ans.
«Hier encore, j’avais vingt ans, je
caressais le temps
J’ai joué de la vie
Comme on joue de l’amour et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours qui fuyaient dans le temps
J’ai fait tant de projets qui sont restés en l’air
J’ai fondé tant d’espoirs qui se sont envolés
Que je reste perdu, ne sachant où aller
Les yeux cherchant le ciel, mais le cœur mis en terre
Hier encore, j’avais vingt ans, je
gaspillais le temps
En croyant l’arrêter
Et pour le retenir, même le devancer
Je n’ai fait que courir et me suis essoufflé
Ignorant le passé, conjuguant au futur
Je précédais de moi toute conversation
Et donnais mon avis que je voulais le bon
Pour critiquer le monde avec désinvolture
Hier encore, j’avais vingt ans mais j’ai perdu mon temps
À faire des folies
Qui me
laissent au fond rien de vraiment précis
Que quelques rides au front et la peur de
l’ennui
Car mes amours sont mortes avant que d’exister
Mes amis sont partis et ne reviendront pas
Par ma faute j’ai fait le vide autour de moi
Et j’ai gâché ma vie et mes jeunes années
Du meilleur et du pire en jetant le meilleur
J’ai figé mes sourires et j’ai glacé mes pleurs
Où sont-ils à présent?
À présent
Mes vingt ans.»
R. E.