L'Algérie de plus près

Farida Sahoui, auteure, à propos des kabyles exilés en Tunisie : « Même si on change de langue et de pays, on ne perd rien de son algérianité »

Farida Sahoui est née en 1972 à Azazga, en Kabylie.  Elle est diplômée d’un BTS en Tourisme. Elle a signé trois ouvrages aux dimensions historique et symbolique : un récit hommage et témoignages de Familles Kabyles d’Algérie en Tunisie (2017) ; un essai sur le Roi Jugurtha en trois langues (2018-2019) ; et la récente publication en 2021 « Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie, dont certains étaient des condamnés à mort en 1871 ». L’écrivaine Farida Sahoui est présente à la Maison de la Culture Mouloud Mammeri, pour la vente dédicace de son ouvrage « Sur les traces des kabyles en Tunisie » et participera à une rencontre littéraire autour de l’œuvre « Histoire de ma vie » de la dame d’Ighil Ali « Fadhma Ath Mansour Amrouche » où interviendront aussi Malika Boukhelou, professeure ; Célia Maloum, doctorante ; Meriem Guemache, Faz Sah ainsi que Karima Ait Sidhoum. Elle a bien voulu nous accorder cet entretien. Ecoutons-la :

Le Chélif : Parlez-nous de vos débuts…

J’ai eu les premiers contacts avec les livres et les magazines à un âge précoce. Dès l’âge de 20 ans, mes premiers articles ont été publiés dans le journal « Le Pays », un des premiers journaux nationaux à tenir une page centrale en tamazight « Tamurt ». J’ai participé à des concours sur le travail en tamazight au début des années 90. J’écrivais souvent lorsque j’en avais le temps avant de projeter de publier sur les familles exilées en Tunisie, en 2017, avec une approche en premier humanitaire. L’essai « Jugurtha » paru en 2018 en Français-Arabe avant qu’il ne soit traduit en Tamazight en 2019.

En 2021, sort l’ouvrage « Sur les traces des kabyles exilés en Tunisie ». Vous n’êtes ni professeur d’histoires, ni chercheur et pourtant c’est un travail de mémoire national puisqu’il témoigne de l’exil des algériens, dont certains étaient condamnés à mort, en 1871, qu’est-ce qui vous a motivée à effectuer ses recherches?

Ce qui m’a motivée à écrire sur nos exilés, ce sont les rencontres que j’ai eues avec certaines familles. Plus je les fréquentais, plus j’éprouvais de l’empathie pour elles. Une amitié s’est tissée entre nous. Par la suite, après maintes réflexions, j’ai compris que je devais contribuer à ce qu’il y ait une trace de ce pan dramatique de l’histoire du pays. Le devoir de mémoire. Je l’ai fait pour eux. Je le leur devais. Par respect…

Quel accueil vous a été réservée?

Il a été chaleureux, je les avais aidés à renouer avec leurs familles et leurs villages.

Quel a été leur réaction lorsque vous avez émis l’idée d’écrire d’un livre sur elles?

L’idée les avait émerveillées. Elles n’ont pas cessé de m’encourager pour que j’aille au bout de mes recherches et de son écriture.

Les témoignages ont été spontanés et émouvants, lourds de regrets, que gardez-vous de vos échanges?

Il est vrai qu’on peut remarquer des remords chez certains du fait de ne pas avoir pensé au retour.  Mais il y a ceux qui cherchent jusqu’à présent un moyen pour pouvoir rentrer, la question est : comment ?

Le dramatique destin des hommes et des femmes qui ont été arrachés à leur terre natale a laissé une empreinte douloureuse car, d’après un de vos échanges, même si on change de langue et de pays, on ne perd rien de son algérianité. Sont-ils restés attachés au pays ?

Oui, on ne se sépare jamais de son pays, surtout la troisième et la quatrième génération, les personnes de cet âge n’ont rien oublié de ce que leurs parents et grands-parents leur ont raconté sur les conditions de leur et leur installation dans un pays qui restait étranger car ils espéraient revenir au pays. Ils n’ont jamais coupé le lien ombilical avec leur pays d’origine l’Algérie.

Pourquoi ne sont-ils pas revenus ? Faute de moyen ? Où le fait d’être mariés à des tunisiennes qui les a enracinés ?

En fait, chacun avait ses raisons. En discutant sur ce sujet justement, mes interlocuteurs affichent le désir de revoir leur terre natale, généralement, mais ils ne vont pas loin dans la discussion. Ce silence est remplacé par un sentiment de regret, celui de ne pas avoir pensé plus tôt au retour, et celui de ne pas demander d’aide et d’oser le dire clairement. Les personnes rencontrées, ont quitté le pays car elles n’avaient pas le choix ; pour survivre, il fallait partir mais c’était dans l’espoir de revenir un jour. Personne n’a pensé rester en Tunisie. Ils comptaient les jours pour y retourner mais c’était très long, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent avec des biens et des situations en Tunisie. Par la force des choses, au fil des années, ils ont renoncé à rentrer ou, plutôt, ils ont préféré rester en Tunisie, une terre qui les a bien accueillis et une société dans laquelle ils se sont bien intégrés.

La dernière génération se sent-elle aussi Algérienne que Tunisienne au-delà des origines, pour celles qui en ont un souvenir ?

Contrairement à la génération que je viens de citer plus haut, la génération d’aujourd’hui ressent moins d’intérêt de parler ou de revenir. J’ai le sentiment que la génération d’aujourd’hui veut oublier ce drame et vivre sa vie.

Il y a cette douleur silencieuse, propre à chaque déporté. Nous avions vu et entendu des descendants d’Algériens déportés en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, vous vous êtes intéressée à ceux de la Tunisie, proche géographiquement, avez-vous pensé à filmer pour garder une deuxième trace de leur existence ? Était-ce une initiative personnelle ?

Oui, j’ai tout fait seule, sans soutien. J’avais aussi pensé à filmer mais cela demande des moyens adéquats pour faire un travail professionnel. Alors je me suis contentée de photos qui parlent d’elles-mêmes. Je reste convaincue que le livre a une grande place dans le monde culturel car les choses sont bien décrites. Le livre est bien accueilli car les thèmes sont intéressants et les lecteurs découvrent pour la première fois. Je compte faire des films documentaires dès que les conditions le permettront.

Présente lors des salons de livre et conférence, le lecteur est-il revenu vers vous ? Avec des questions ? Des remarques ?

Oui, lors de mes rencontres et conférences, des lecteurs sont revenus vers moi pour plus d’informations, ils étaient très curieux ! J’ai beaucoup appris car leurs questions en ont soulevé d’autres et à moi, d’apporter des réponses. Ils m’ont incitée à poursuivre mes recherches. Une conférence où il n’y a pas de débat est une perte de temps.

Farida Sahoui, avez-vous de nouveaux projets ?

Je suis sur un chantier littéraire, j’écris une histoire tirée de faits réels des années 1940, en tamazight. Là, je viens de finir un essai historique sur des Chroniques Nord-Africaine et méditerranéennes. Il devrait paraître bientôt même si ce sera difficile car l’édition en Algérie est un vrai casse-tête.  L’auteur se trouve livré à lui-même pour éditer. Il réalise son projet à compte d’auteur et doit faire sa promotion et la distribution de son ouvrage. Jusqu’à aujourd’hui, on ne voit pas un réel engagement des éditeurs pour la promotion du livre, leur travail consiste presque à imprimer, un travail que l’auteur peut faire seul (sans passer par l’éditeur). Certes les éditeurs ont des difficultés mais la question est : quel est avenir du livre dans ces conditions ?

Propos recueillis par Katia Adila

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