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Fayza Stambouli, écrivaine : « L’écriture est une thérapie… »

Fayza Stambouli Acitani, de son vrai nom Fayza Stambouli, est psychologue clinicienne, originaire de Blida. Elle a écrit cinq recueils : « Nos entre-vagues » « Élans » « Souffle de pétales » « Chant de ma lyre » et « Cueillir les sourires ». Elle a toujours eu un penchant pour la littérature et c’est naturellement qu’elle s’est tournée vers la poésie pour s’exprimer. Elle a décroché le premier prix en 2016 puis en 2018 au festival de la poésie. Sa plume est porteuse de messages d’amour, de paix et d’humanisme.

En 2022, la poétesse, parallèlement à son nouveau recueil, publie un roman « Les murailles de l’interdit ». Rencontrée à la Maison de la Culture Mouloud Mammeri, à Tizi-Ouzou lors d’un hommage aux écrivains en langue Tamazight, Fayza Stambouli Acitani a accepté de parler de son roman, avec nous…

Le Chélif : De l’interdit à la liberté, comment est né ce personnage qui n’hésite plus à prendre la parole et à analyser sa vie et ses proches ?

Fayza Stambouli : Nacera est parmi celles qui ont franchi le seuil de l’école postindépendance. Elle, qui a eu la chance d’arracher le droit d rejoindre l’université, s’est retrouvée subitement et pendant de longues années dans un milieu trop conservateur où elle a subi tant d’injustice et d’interdictions. Elle s’accrochait à l’espoir qu’elle finirait par retrouver sa liberté et son épanouissement au bout de son long tunnel. Son respect des traditions, sa compréhension de la personnalité de ses proches, notamment ceux qui l’étouffaient entre les murailles, l’aidaient dans sa tolérance et sa patience pour réprimer ses révoltes et ses souffrances. Avec ce personnage de Nacera, je voulais rendre hommage à ces nombreuses femmes dans le même cas qui enduraient et subissaient, non par faiblesse et soumission, mais par force et sagesse pour ne pas créer des conflits ou des ruptures de la famille ou la belle-famille. Faire ce témoignage, c’est briser le silence, c’est une liberté de dénoncer, pour que l’endurance de ces femmes et leurs souffrances ne soient dissoutes dans l’oubli.

Dans ce roman, le personnage de Nacera est témoin de plusieurs étapes historiques du pays après la fin de la guerre, dont la période OAS, le printemps berbère, les années noires. Les souffrances de la société et de la femme y sont relatées. Les interdictions endurées entrainent à la longue la révolte. La liberté ne s’offre pas. Elle s’arrache durement après tant d’interdits, de larmes et de sang. Témoigner de tout cela, notamment des évènements historiques pour arriver à une certaine liberté, était le but de mon roman.

Nombreuses sont les femmes qui se sont reconnues à travers le personnage principal et de son vécu. Quel a été le retour des lectrices et des lecteurs ?

Effectivement, plusieurs lectrices m’ont révélé s’être reconnues à travers le      personnage principal de Nacera, pour s’être retrouvées dans la même situation, et avoir vécu des injustices et des frustrations pareilles. Plusieurs m’ont exprimé leur joie que leurs souffrances soient gravées à travers ce roman. Pas seulement celles qui étaient étouffées dans des milieux répressifs, mais aussi celles qui ont vécu les innombrables interdits, ainsi que les conséquences du cauchemar des années noires.

Quant aux lecteurs, qui sont restreints, certains ont exprimé leur reconnaissance envers ces femmes, et envers leur tolérance, leur patience et leur courage pour préserver l’équilibre de leurs enfants et de leurs familles, ainsi que de leurs maris. Dans ce sens, plusieurs étaient tiraillés dans un conflit entre leurs épouses et leurs parents. L’obéissance au père était sacrée dans les familles patriarcales. Les femmes comprenaient cela et prenaient sur leur dos le silence de leurs maris et leur passivité.

Pensez-vous que le fait d’être psychologue et d’avoir « écouté » les femmes, vous a permis de mieux les cerner et de mieux raconter qu’un autre auteur, les drames qu’elles vivent ? Et surtout de mieux comprendre notre société…

Mieux qu’un autre auteur ? non, je n’ai pas cette prétention. Je pense que comprendre et ressentir autrui par le cœur est meilleur que tout autre moyen. C’est ma nature de ressentir les autres par le cœur d’abord, et d’être à leur écoute attentivement, surtout ceux qui sont tourmentés. Leurs peines me touchent et je ne peux rester indifférente, mais j’avoue que la psychologie m’a beaucoup aidée à cerner les drames et les souffrances des femmes. D’ailleurs, j’en parle souvent dans ma poésie. Comprendre notre société, la mal-vie de nos jeunes, nos problèmes communs, sont perçus par l’œil de la psychologie certes mais surtout par ma sensibilité.

L’écriture soigne tout comme le dessin. Quels sont vos conseils en tant qu’autrice et psychologue, aux jeunes confrontés à des difficultés dans la vie ou qui peinent à s’exprimer ?

L’écriture est une thérapie comme toute forme d’Art. C’est également éducatif. Toute forme d’Art apaise et développe la sensibilité, l’imagination, l’humanisme, l’aptitude à rêver, à espérer, à aimer. La violence appelle toujours la violence. L’écriture, la peinture, la musique etc. aident à se maitriser, s’adoucir, s’élever, aller vers le beau, vers la lumière, vers le divin. Mon conseil pour les jeunes est de cesser de vouloir aller chercher ce paradis dont ils rêvent, au-delà de la mer ou de l’océan. Les lumières qui scintillent ailleurs sont trompeuses. Ils devraient prendre leur mal en patience, s’assumer, s’exprimer, dévier leur fougue ou leur colère vers l’activité, vers le sport, vers une passion, vers une forme d’art, que ce soit la musique, la peinture ou un travail manuel. L’oisiveté est mère de tous les vices, on le sait. On sait également que le travail n’est pas toujours à la portée de tous, mais s’occuper est nécessaire, s’extérioriser, partager, écrire, lire, prier, parler, courir, mais pas intérioriser la souffrance, qui ne fera que s’accentuer dans le silence.

Avez-vous des projets ?

Je ne me donne jamais le but d’écrire ou préparer un projet. J’écris sous l’inspiration du moment et quand il y a une charge émotionnelle. Mes recueils de poésie n’étaient pas un but mais le résultat de plusieurs poèmes impulsifs. Mon roman, non plus n’était pas un but, mais une conséquence de mon désir d’extérioriser, pour moi-même, ce qui me tenait à cœur. J’ai écrit plusieurs nouveaux poèmes, mais je ne peux savoir si j’en écrirai encore pour un autre recueil. C’est selon l’inspiration et mes ressentis. Il en est de même pour mon nouveau roman. J’en suis au quatrième chapitre et il stagne encore. C’est toujours selon l’inspiration et l’intensité de ce que je voudrais transmettre. L’écriture devrait avoir une âme, sinon elle est stérile.

Propos recueillis par K. A.

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