L'Algérie de plus près

La dignité, la mendicité et la charité

Par Hassane Boukhalfa

Ces dernières années, la commune de Breira est devenue une destination de prédilection d’un nombre d’associations caritatives qui œuvrent à aider les familles nécessiteuses. Du moins, ce sont leurs objectifs avoués.

La commune de Breira, dans la wilaya de Chlef, s’est rendue tristement célèbre par l’extrême misère qui frappe la plupart de ses habitants. En cause : sa situation géographique défavorable du fait de son éloignement des grands axes routiers, d’une part, et, d’autre part, la gestion approximative voire destructrice de la commune, jalonnée d’une prédation effrénée à laquelle se sont livrés les responsables dont le seul objectif est de trouver les moyens qui leur permettent de détourner l’argent public. Les longues années d’opulence financière de l’Algérie n’ont pas profité à la population, loin s’en faut. De plus, la propagation de la pandémie de Covid-19 au début de 2020 a aggravé la  situation sociale et économique qui était déjà inquiétante du fait des mesures de restrictions budgétaires adoptées par l’État suite à la réduction des recettes du pétrole ainsi que la flambée des prix qui ne cessent de s’aggraver d’une année à l’autre, le tout couronné et accentué par  l’inflation galopante qui pèse sur la valeur de la monnaie nationale au moment où la plupart des produits de consommation sont importés de l’étranger en devise.

Les réseaux sociaux aidant, la commune de Breira s’est fait connaître comme étant l’une des communes pauvres et les plus défavorisées au niveau national. Ainsi, pour venir en aide aux familles démunies de cette commune, des associations dites caritatives ont commencé à affluer de partout vers elle. Depuis, il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne constate un cortège de l’une de ces associations faire irruption dans les différents douars et villages de Breira, caméras et appareils photos en bandoulière. C’est de la honte et de l’opprobre, disent ceux qui sont jaloux de leur dignité. Il faut reconnaitre que les actions de bienfaisances, que ce soit de la part des personnes privées ou des organisations officielles de l’Etat ou indépendantes, remontent  à plusieurs années mais leur activité restait indiscrète et timide. A l’inverse de ce qui se produit aujourd’hui vu le nombre et la diversité de ces associations dont on ignore la source de leur financement ainsi que leur véritable desseins à travers ces actions menées à grands fracas.

À ce propos, nombre de citoyens, même parmi les plus pauvres, refusent de renoncer à leur dignité qu’ils trouvent ainsi égratignée pars les comportements des membres de ces associations et leurs relais locaux. En effet, bien qu’un nombre considérable d’habitants accueille ces associations avec jubilation en apportant leurs actions et ce, même parmi des gens plus au moins aisés qui, toute  honte bue, n’hésitent pas à accepter les dons qui leur sont offerts, il y a une autre catégorie qui préfère vivre dans la pauvreté plutôt que de voir sa dignité foulée au pied par des associations qui, sans aucun scrupule, osent étaler la misère et l’intimité des gens sur les réseaux sociaux et les chaines de télévision qui, évidemment, ne pipent mot sur les responsables de cette misère.

En plus de porter atteinte à la dignité des gens et d’encourager d’une manière indirecte la mendicité, activité pourtant interdite par la loi et condamnée par la religion sur laquelle s’appuient la plupart de ces associations pour donner plus de crédit à leurs actions, la plupart des produits offerts proviennent de la friperie. Malgré ce fait, ces produits ne parviennent pas aux gens véritablement dans le besoin car les critères retenus par les relais locaux de ces associations pour choisir les destinataires de ces dons ne sont ni objectifs ni neutres encore moins crédibles. Ce sont les amis et les proches qui sont les premiers servis quand ce ne sont pas les relais eux-mêmes qui détournent ces dons à leurs propres profits.

A. H. un employé dans une grande entreprise nationale et habitant le chef-lieu de la commune de Breira résume en une phrase l’activité de ces associations : « Ce sont des actions de promotion et de publicité ni plus ni moins pour bénéficier de l’argent des bienfaiteurs et des donateurs sur le dos des misérables ».

Quant à M. C., fonctionnaire de l’éducation nationale, il nous dira ceci : « Je n’ai pas d’informations précises sur le sujet mais, franchement, je n’apprécie pas ce que font ces associations »

Pour Redouane Taibi, docteur en psychologie, l’action associative vise en principe des objectifs humanitaires avant autre chose. « Mais le plus souvent et malheureusement, dit-il, ce n’est pas le cas chez nous dans la mesure où ce sont les intérêts personnels, les attendu idéologiques ou politiques qui priment. Le plus souvent, ces actions de bienfaisance en apparence cachent derrière elles des desseins malveillants ». Et d’ajouter : « Cela, je l’ai constaté  dans la mesure où on donne à celui qui mérite le moins en délaissant les gens vraiment dans le besoin, cela peut avoir tous les sens sauf celui de la bienfaisance et de la charité ».

Pour ce chercheur universitaire, l’action de ces associations est perçue comme un encouragement à la mendicité puisque certaines personnes habituées à ce genre d’actions ne fournissent aucun effort pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles et comptent uniquement sur les dons et la charité des prétendus bienfaiteurs : « Ce qui est plus grave, c’est le fait de porter atteinte à la dignité des gens lorsque ces associations procèdent à la diffusion des photos et des vidéos des familles nécessiteuses sur les chaines de télévisions et les réseaux sociaux. L’étalage de la misère des gens sur la place publique est pour eux un fonds de commerce ».

Intervenant à son tour, M. Laid Berchouche, enseignant, souligne que « nul ne peut nier le rôle important des associations caritatives qui viennent en aide aux personnes et aux familles qui se trouvent dans le besoin. Mais il faut dire que cela n’est pas le seul moyen pour aider les gens surtout lorsqu’on s’aperçoit que certains membres de ces associations ont d’autres objectifs que ceux affichés ». Pour notre interlocuteur, nombre d’associations lorgnent des intérêts personnels en se cachant derrière les actions de bienfaisance et de charité : « Nous constatons que le plus souvent les aides et les dons n’arrivent pas aux destinataires qui les méritent. Car les sources d’information locales sur lesquelles comptent ces associations pour identifier et recenser les gens et les familles dans le besoin sont le plus souvent peu crédibles. Ces relais locaux n’hésitent pas à tromper les responsables de ces associations sur les véritables cibles auxquelles sont destinés les aides et les dons. Il ne faut pas oublier ceux qui n’hésitent pas à solliciter la charité de ces associations sans qu’ils soient vraiment dans le besoin, mus simplement par la convoitise et le gain facile ce qui n’est autre qu’une forme de mendicité et d’humiliation ».

« La destination des dons et des aides de ces associations, ajoute M. Berchouche, doit être bien réfléchie et la source de financement de ces associations doit être connue du public et des pouvoirs publics ».

« En définitive, résume-t-il, le rôle de ces associations reste indéniable mais il faut qu’il y ait une rigueur dans leur gestion ainsi qu’un minutieux diagnostic des personnes et des familles auxquelles sont destinées les dons et les aides de ces associations. Sans le dévouement et la probité ainsi que la préservation de la dignité d’autrui, toute action est vouée à l’échec ».

Salim Kada, citoyen de Breira, estime de son côté qu’en aidant les autres et en compatissant à leur souffrance, cela participe à apporter du bonheur et semer des sentiments de fraternité entre les gens. « Il n’y a plus agréable que de voir les gens dans le besoin heureux », note-t-il, expliquant qu’à l’instar de toutes les régions du pays, la commune de Breira a vu naitre un certain nombre d’activistes de la société civile qui œuvrent à aider les gens dans le besoin. « Ils procèdent à approvisionner les familles nécessiteuses en différents produits alimentaires ainsi qu’en vêtements en plus d’offrir des repas chauds aux profit des gens sans domiciles fixe. Ils ont même loué des logements pour certaines familles dont l’habitat est vulnérable. Ces bienfaiteurs ont contribué grandement à rendre la vie plus au moins agréables à beaucoup de gens et de familles dans le besoin », a-t-il conclu.

H. B.

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