L'Algérie de plus près

Céréales et sécurité alimentaire : une évidence algérienne

Par Ahmed Chadouli *

L’une des missions de l’Etat est d’assurer une disponibilité des besoins alimentaires. A défaut d’autosuffisance, la sécurité alimentaire doit être le leitmotiv des autorités. Cette sécurité repose sur un raisonnement de la consommation et une stabilisation de la production.

La sécurité alimentaire, c’est la mise à la disposition du citoyen de quantités nécessaires et suffisantes de biens de consommation afin de satisfaire ses besoins. Plus le produit est largement consommé, plus sa disponibilité doit être assurée. Le seuil de la sécurité alimentaire dépend de l’importance de la culture dans les habitudes alimentaires. Les céréales, de part leur importance, leur sensibilité et leur niveau de production revêtent un intérêt particulier ; d’où la nécessaire maitrise de la consommation et de la production,

Le maïs, les blés et le riz sont les principales cultures qui dominent les transactions commerciales des produits agricoles. Ces transactions sont sujettes à des tensions et n’échappent pas aux multiples aspects politiques, économiques et spéculatifs. C’est l’épée de Damoclès sur les pays importateurs. D’où la nécessité de produire des quantités nécessaires afin de pallier toute surprise pouvant mettre en péril la vie d’une nation.

Le culturel

L’Algérie est un centre d’origine du blé. Le blé entre dans notre culture alimentaire, on ne peut manger sans pain et nous méritons le qualificatif de «painiste». Dans notre culture nutritionnelle, par le passé, 80% de notre régime alimentaire était à base de blé et d’orge avec les légumes secs. Les légumes frais étaient rares, ils étaient disponibles en petites quantités aux alentours des zones de culture. Dans notre culture culinaire, nous avons une gamme variée de recettes à base de blé. Et c’est une fierté que de savoir que notre le plat national qui est le couscous est reconnu mondialement. Notre consommation en céréales dépasse les 200 kg par an et par habitant. Ce qui envoisine les 700 g par jour par habitant alors que la moyenne mondiale est de 170 g par jour et par habitant. Une déduction rapide fait que nous avons un excès en consommation de 10 millions de quintaux ! Faut-il les classer dans le gaspillage ? Hélas, c’est la réalité, ce gaspillage est estimé à 40 millions de dollars US par an.

De nos jours, l’amélioration du niveau de vie nous a fait perdre plusieurs valeurs. Le comportement irrespectueux est devenu une réalité acceptée par tout le mode. Le pain, une bénédiction, a perdu sa sacralité. Par le passé, un bout de pain trouvé était aussitôt saisi avec amour pour être déposé à l’abri avec respect et avec un baiser en sus. Autrefois, on achetait pour manger mais, aujourd’hui, on choisit ce qu’on va manger. Le pain est jeté sans gêne et sans honte. La réflexion de nos aïeux trouve toute sa place en pareille situation : «La mauvaise satiété entraine le gaspillage et la mauvaise foi dans l’œuvre».     

L’amélioration du niveau de vie a bouleversé nos habitudes alimentaires, de nouvelles pratiques sont apparues en matière de nutrition chez les jeunes. La pression s’est accrue sur certains produits agricoles tels que les blés, le sucre et l’huile et d’autres sont moins préférés et évitées telles que les légumes avec la complaisance des parents. Ces nouvelles attitudes accentuent la dépendance des importations, sans pour autant oublier les conséquences sur la santé notamment la colopathie par l’abus de consommation de pain. La valeur d’échange dérisoire de cette manne est à l’origine de ce gaspillage effréné des céréales.

Le cultural

La culture du blé en Algérie remonte à l’antiquité, c’est la première production agricole. Annuellement, la superficie des céréales varie de 2,5 à 3 millions d’hectare. La céréale est une culture pluviale, elle est dépendante de la pluviométrie. La productivité est influencée par les paramètres climatiques. La pluie, les hautes températures et les vents sont les principales contraintes et à degré moindre le gel au niveau des hauts plateaux.

Quant à la conduite culturale, elle reste loin des références techniques. La production annuelle des  céréales varie entre 30 à 35 millions de quintaux alors que la consommation dépasse les 80 millions de quintaux. La couverture des besoins suppose le doublement de la superficie céréalière, chose qui est impossible ou le de doublement du rendement, et là aussi, on est bien  dans l’impossibilité, bien qu’il existe des possibilités d’améliorer la productivité d’une façon significative.  Les potentialités de production céréalière sont de 40 millions de quintaux en année difficile, c’est à dire une mauvaise répartition de la pluviométrie. Elles sont de 50 millions de quintaux en année normale, une bonne répartition de la pluviométrie et en quantité suffisante. Elles seront de 60 millions de quintaux en bonne année, avec des pluies conséquentes avec une bonne répartition.

Il est utile de rappeler que les études fréquentielles montrent que les années normales sont de deux années sur dix et que les céréales éprouvent des difficultés 8 années sur 10 alors que les bonnes années céréalières sont rares.

La confection du pain

Malgré sa place dans notre vie quotidienne, le pain ne bénéficie point de professionnalisme dans sa confection. Des imperfections caractérisent l’état du pain. De la préparation de la fournée à la cuisson rapide, les conséquences sont : un pain croustillant et une mie encore molle. Après quelque temps, ce pain s’effrite, la mie durcit est devient immangeable. La mauvaise utilisation des améliorants altèrent la saveur du pain, il perd sa forme physique et devient élastique. Quelques heures après sa sortie du four, son rejet est inévitable. D’un point de vue professionnel, la baguette doit garder toute son appétence durant 3 jours. Ces malfaçons engendrent des pertes qui peuvent atteindre les 20%. La professionnalisation du métier est plus que nécessaire. L’organisation, la formation et le suivi de la filière auront un impact qualificatif et quantitatif.  

                                                                                    

Une consommation déraisonnable

                                                                                            

Il est possible de réduire la consommation des blés par la réduction de la pression sur les produits céréaliers. Cette tension s’abaissera par la diversification de la consommation d’autres produits agricoles tels que les légumes, les fruits et d’autres céréales.

L’Algérie est l’un des rares pays au monde où les artisans boulangers confectionnent un seul type de pain avec de surcroit de la farine pure de blé tendre. Le raisonnement de la consommation commence par la diminution de la demande sur les blés par un certain nombre d’actions et de dispositions.

La diversification du pain est une alternative à promouvoir. Il serait utile de disposer de plusieurs types de pain. Cette variété va du pain complet au pain apparié à d’autres espèces telles que le seigle, l’orge, le triticale, etc. Ces espèces, bien adaptées à nos conditions agro-climatiques, tolèrent mieux les caprices des paramètres climatiques. Cette diversité offre au consommateur une gamme variée avec les prix afférents. Ces dispositions agissent à trois niveaux.

En premier, une diminution de la pression sur la farine. En effet, toute proportion ajoutée est une réduction du taux de farine, la proportion est variable, tout en ayant à l’esprit que le pain est une recette de cuisine et qu’elle obéit à un dosage judicieux des ingrédients.

En second, du pain de différentes qualités. Le consommateur se trouve face à plusieurs types de pain où le choix est, en lui-même, une responsabilité et un gage de moins de gaspillage.

Enfin, le coût réel du pain. La diversité des pains suppose différents prix où la baguette est acquise à sa juste valeur. Le nouveau prix n’est qu’une réparation d’un déni social.

La consommation des fruits peut diminuer la demande sur le pain. En effet, la présence de la corbeille de fruit peut inciter à sa consommation. Un fruit consommé, c’est un morceau de pain épargné.

Les légumes peuvent contribuer à réduire d’une façon significative la consommation du pain. La diversité de menus à base de légumes, la présentation, les nouvelles préparations et la promotion peuvent être intéressantes pour le consommateur.              

L’adhésion de spécialistes à la démarche qui met en évidence les intérêts et les utilités alimentaires, sanitaires, diététiques, culinaires, etc. de ces nouveaux produits facilitent leur adoption par le consommateur. Le slogan «consommez 5 fruits et légumes par jour» n’est pas fortuit, il a certes ses vertus mais c’est aussi pour inciter à consommer des produits agricoles dont la conservation et le stockage sont contraignants et d’épargner les céréales pour le marché extérieur où la demande est en progression continue. Ces comportements très sensés peuvent engendrer une réduction substantielle de la consommation des céréales.

La stabilisation de la production

La sécurité alimentaire ne serait effective qu’avec une production céréalière régulière. Une irrégularité de la production hypothèque la sécurité. Tous les efforts doivent converger vers une production céréalièrequi tolère de légères fluctuations dues essentiellement aux paramètres climatiques.

Cette stabilisation nécessite l’application des opérations culturales prescrites. Ces opérations sont de deux types, celles indépendantes des paramètres climatiques et celles plus efficientes quand leur application coïncide avec une pluviosité. Toutefois, l’application d’une manière technique des opérations est la seule alternative pour l’obtention d’un niveau appréciable de production.

Au niveau de la plaine du Chélif, un hectare de céréales nécessite 18 heures de travail, de la préparation du sol jusqu’au transport de la production. De la dizaine d’opérations culturales sur les céréales, deux applications sont plus que nécessaires et sont à ce jour les moins prises en considération. La fertilisation, c’est l’handicap de la céréaliculture. La fumure de fond, avant les semis, n’est guère appliquée. La fumure de couverture au tallage, nutriment indispensable pour la composition du rendement, est-elle aussi négligée. Le contrôle des mauvaises herbes, opération timide, n’arrive pas à se généraliser malgré son utilité. Leurs applications d’une manière idoine, c’est-à-dire à la veille des précipitations, sont d’une grande efficacité, d’autant plus que de nos jours, les prévisions météorologiques sont précises et à portée d’un clic de souris d’ordinateur. Un taux d’humidité appréciable lors de l’application de ces deux opérations permet à la culture d’exprimer toutes ses potentialités. L’utilisation des moyens aériens pour le désherbage réduit les charges et accroit les superficies traitées.

A elles seules, ces deux opérations peuvent accroitre la productivité de 40% !

La stabilité de la production repose sur une application des opérations culturales dans les temps impartis selon les normes requises. On ne peut espérer un accroissement de la productivité sans une stabilisation de la production. Une production régulière permet de situer les insuffisances et par delà apporter les améliorations à même de donner un plus. Il y a une logique à retenir : une application technique a toujours une réponse quantitative et qualitative.

Un objectif de production est en lui-même un niveau à atteindre et devient un challenge. La mise en œuvre des moyens et des facteurs de production concrétisent ces objectifs. Cette démarche n’est autre que le professionnalisme de la filière. C’est la seule démarche garante de la stabilité et de l’évolution de la production.

L’agronomie est une science appliquée. Il n’en demeure pas moins que la rigueur scientifique doit être de mise. La production actuelle est loin des possibilités. Ces possibilités sont de trois niveaux. Un premier niveau qui avoisine les 800 000 ha où la productivité peut varier de 25 à 30 qx/ha. Un second niveau de 500 000 ha où la productivité peut varier de 15 à 20 qx/ha. Un troisième niveau de 1 200 000 ha environ où la productivité peut varier de 10 à 15 qx/ha. Ces paliers ne sont atteints qu’avec une approche technique.

Une meilleure mise en place de la culture assure un bon peuplement, c’est-à-dire un nombre d’épis conséquent. La fertilisation et le désherbage assurent un nombre de grains par épis important et un grain consistant.

Ces trois paramètres sont les composantes du rendement. Les autres opérations, comme l’irrigation, la veille sanitaire seront enclenchées pour atténuer les effets des aléas.

A la lumière de ce qui a été cité, la sécurité alimentaire est possible et réalisable.

La sécurité alimentaire doit être une priorité et non un vœu pieux dans la mesure où les possibilités sont réelles.

Je me permets quelques évaluations à titre indicatif : des mesures et des dispositions concrètes en matière de bannissement du gaspillage peuvent réduire le niveau de consommation de 15 à 18%. La diversification du pain, bien que ce soient toujours des céréales, réduit de 5 à 10% les importations des céréales. La substitution des céréales par d’autres produits agricoles comme les fruits et les légumes peuvent engendrer un gain de 6 à 7 millions de qx.

Tout cela m’amène à penser que la consommation des céréales peut se situer aux alentours de 60 millions de qx. Avec une production qui varie de 40 à 50 millions de qx., il aisé de dire que la sécurité alimentaire sera une réalité.

La mise en œuvre d’un plan pour aboutir à une sécurité alimentaire n’est autre qu’un défi qui entre en ligne droite dans la bonne gouvernance, elle-même n’étant autre qu’un levier de la relance économique.

A. C.

*Ingénieur en chef, ex directeur ITGC Khemis, expert agricole